La réforme des retraites est une question politique, idéologique, certes, mais aussi très concrète et pragmatique. Difficile pour chacun.e de se faire une idée de ce que sa retraite deviendrait avec la réforme quand il ne sait généralement pas déjà ce qu’il en est dans le système actuel. Sujet technique s’il en est, le devenir des retraites, si le projet de loi actuel est adopté, est pourtant assez clair en ce qui concerne le secteur culturel. Un point avant la nouvelle journée de mobilisation du 23 janvier, récolté lors de la journée d’ouverture des BIS qui vient de s’ouvrir à Nantes.
Si l’on s’appuie sur la présentation factuelle et informée de l’intersyndicale CGT Spectacles-FASAPFO- CFE CGC qui tenait une conférence de presse en marge des BIS à Nantes ce mercredi 22 janvier, la question de l’âge pivot qui concentre la plupart des débats sur le plan national est pour le secteur culturel assez secondaire. D’ores et déjà, l’âge moyen de départ à la retraite est de 63 ans et 8 mois pour les hommes selon les chiffres d’Audiens. Sans être anecdotique, un âge pivot fixé à 64 ans modifierait donc la donne mais l’essentiel n’est pas là, explique l’intersyndicale.
Les enjeux majeurs seraient ailleurs. Du côté des artistes-auteurs par exemple. Ceux-ci bénéficient aujourd’hui du régime général des salariés tout en n’ayant pas à verser la part patronale des cotisations, vu leur activité, Un avantage alloué depuis la loi de 1975. L’Etat a prévu que dans le système universel qui doit aligner chacun sur le même ratio cotisations versées/retraites touchées, les artistes-auteurs ne perdront pourtant pas en termes de montant de retraites vis-à-vis des salariés du régime général tout en continuant à cotiser moins qu’eux. L’Etat a prévu pour cela un abondement de l’ordre de 300 millions d’euros annuel qui maintiendra le niveau de retraite des artistes auteurs. Problème, note l’intersyndicale, cet abondement dépendra probablement de la loi de finance, et pourra donc être remis en cause chaque année. D’autre part, le financement de cet abondement n’est pas encore défini. Le plus probable : que le Ministère de la Culture doive financer ces 300 millions sur son budget. Cet abondement amputerait ainsi 10% du budget du Ministère, ce qui est considérable. « Dans la même perspctive, on peut craindre qu’à l’avenir on demande également au Ministère de compenser les indemnités d’assurance chômage pour aligner le régime des intermittents sur le régime général » surenchérit Ghislain Gauthier, secrétaire général adjoint de la CGT Spectacle.
Ce qu’ont à craindre les intermittents
Du côté des intermittents justement, dont les retraites sont aussi d’ores et déjà alignées sur celles du régime général, le passage à la retraite par points pose avant tout la question de l’indemnisation des périodes de chômage qui sont par nature très importantes dans le cursus professionnel des intermittents. Avec la réforme, les périodes non indemnisées n’ouvriront plus aucun droit à la retraite alors qu’elles peuvent permettre aujourd’hui de comptabiliser des trimestres. Pour les périodes indemnisées, ce ne sont plus les salaires versés comme aujourd’hui mais les indemnités chômage, inférieures aux salaires bien sûr, qui serviront de base au calcul du montant de la retraite. « Aucune étude d’impact n’a été donnée par le gouvernement pour chiffrer l’effet de ce changement », regrette encore Guilain Gauthier. Par ailleurs, note encore l’intersyndicale, l’article 42 de la loi prévoit un plafonnement de la prise en compte des périodes de solidarité (chômage, maladie, maternité) pour le calcul des points, plafond dont le montant n’est pas encore défini et sera fixé par décret. Un plafonnement qui, bien sûr, concerne au premier chef les intermittents, dont les points seront souvent liés aux indemnités chômage.
Enfin, du côté des artistes et régisseurs, selon l’intersyndicale, la réforme prévoit que le Ministère de la Culture prenne en charge sur son budget les effets d’un abattement sur les charges sociales. Aujourd’hui, cet abattement qui allège de 20 à 25% les cotisations patronales grève le calcul de la retraite du salarié. L’employeur verse moins, l’employé touchera moins la retraite venue. Cet abattement est donc aujourd’hui facultatif, soumis à l’accord préalable de l’employé. « Si la réforme prévoit que le Ministère compense les effets de l’abattement sur le calcul de la retraite, rien ne s’opposera plus à ce que chaque salarié l’accepte », explique l’intersyndicale ». Seulement, dans ce cas, c’est encore le budget du Ministère qui supporterait une charge supplémentaire évaluée à 50 millions d’euros par an.
Les femmes surexposées
Aujourd’hui note enfin l’intersyndicale, si la mobilisation dans les transports s’essoufle, celle du monde de la culture s’amplifie. Les salariés de l’Opéra de Paris et ceux de la Comédie Française, dont les statuts spéciaux risquent d’être supprimés ont lancé le mouvement. Mais « toutes les professions sont concernées ». « Les femmes encore plus que les hommes», précise Lucie Sorin, du Syndicat Français des Artistes-Interprètes, puisque leurs carrières subissent plus de périodes d’inactivité que les hommes. L’intermittence ne permet pas, rappelle enfin l’intersyndicale, d’aspirer au fameux minimum de 1000 euros que fait miroiter le gouvernement, qui ne concernera que les carrières complètes, qui ne sont évidemment pas monnaie courante chez les intermittents.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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