Pour les Plateaux Sauvages, les deux confinements successifs interviennent après une fermeture imposée par la Préfecture de Paris fin novembre 2019. Le lieu n’en poursuit pas moins sa mission de service public. Ces jours-ci, Élise Vigier y travaille une pièce qui résonne fortement avec l’époque : Le Monde et son contraire. Portrait Kafka.
Depuis fin novembre 2019, les occasions de se rendre aux Plateaux Sauvages, « fabrique artistique culturelle » ouverte en 2016, ont été rares. Fermé de manière abrupte fin novembre 2019 à la demande de la Préfecture de police de Paris, ce lieu qui a su se faire sa place à Ménilmontant dans le XXème arrondissement a subi comme tous les autres le premier confinement. Il a pu retrouver son public en septembre avec Diane Self Portrait mis en scène par Paul Desvaux, puis en octobre avec Elle/Ulysse d’Anne Contensou et Rébecca Chaillon. Les ateliers de transmission artistique accompagnant ces créations, comme toutes celles que portent les Plateaux Sauvages, ont aussi pu avoir lieu. Entre les deux, le 3 octobre, la directrice du lieu Laëtitia Guédon a aussi organisé des portes ouvertes telles qu’elle les aime : artistiques et conviviales, dans le respect bien sûr des gestes barrière.
« Après notre longue fermeture, j’avais très peur que le public ne soit pas au rendez-vous, que le rapport fort que nous œuvrons à créer avec le territoire et ses habitants se soit distendu. Ou que les gens hésitent à franchir les portes d’un théâtre. Mais pas du tout : les spectateurs ont été au rendez-vous – dans la mesure de nos jauges limitées – et nos cours et ateliers ont remporté un succès jusque-là inégalé ! L’envie, le besoin de théâtre est bien là, ce qui nous donne de l’énergie pour poursuivre notre mission de service public », dit-elle. Si les portes des Plateaux Sauvages se sont de nouveau fermées au public depuis le 29 octobre, jour de l’annonce du reconfinement, Les Plateaux Sauvages n’en continuent ainsi pas moins de vivre. En catimini, des artistes continuent de créer. Sans public, mais dans l’impatience de le retrouver.
« Ce n’est pas un confinement qui va nous mettre la misère ! »
Dans ces batailles successives, Laëtitia Guédon n’a rien perdu de l’enthousiasme, de la détermination qui l’ont menée à la tête du lieu. « Ce n’est pas un confinement qui va nous mettre la misère ! », nous assure-t-elle, avec sa jovialité habituelle. Entre ses murs transformés pendant la fermeture du lieu par le graffeur El Tono et des artistes de l’association de street-art Art Azoï, et en passe d’être revégétalisés, la metteure en scène a tenu à accueillir en résidence tous les artistes qui auraient dû y créer. À commencer par Élise Vigier, co-directrice avec Marcial Di Fonzo Bo du CDN de la Comédie de Caen, complice de longue date. « En plus d’affinités artistiques, Laëtitia et moi partageons le même désir de faire de nos théâtres des lieux de rencontre entre des humanités diverses. Chose hélas impossible aujourd’hui, mais dont nous devons préparer au mieux le retour », nous dit-elle le jour de notre visite.
C’est dans ce but que Laëtitia Guédon et son « équipe formidable, à fond les ballons » organisent, comme le font de nombreux autres lieux, des présentations à destination d’un nombre très réduit de professionnels et de journalistes. Nous avons eu la chance d’en faire partie le 10 novembre, lendemain de la date de création initialement prévue du Monde et son contraire. Une pièce écrite par Leslie Kaplan pour le comédien Marc Bertin qui l’interprète avec le danseur Jim Couturier, dans le cadre des « Portraits de la Comédie de Caen », créations itinérantes qui « croquent de manière vivante et ludique une figure de notre temps ».
Fruit d’un amour de l’univers de Frantz Kafka commun à tous les artistes concernés, ce spectacle de circonstance devrait vraiment voir le jour en mars prochain à la Comédie de Caen. Car pour Laëtitia Guédon comme pour Élise Vigier, « un spectacle n’existe vraiment que dans sa rencontre avec un véritable public, composé de personnes venues pour des raisons différentes. Pour le sujet, pour l’auteur, le metteur en scène, le comédien… », dit cette dernière en guise de bienvenue à son micro-public. Une introduction qui exprime bien la fragilité du geste artistique en cette période, et son besoin de soutien, de protection.
Deux maisons tournées vers l’avenir
Pour donner à voir ce geste en ces jours de confinement, et lui offrir les meilleures chances d’avenir possibles, Laëtitia Guédon et Élise Vigier inventent chacune leur manière au jour le jour, en fonction de l’identité de leur lieu. Si la première préfère éviter les captations ou les live stream à la mode du moment – « il faut avoir les moyens, sans quoi cela risque de desservir un spectacle. Et toutes les formes ne se prêtent pas à ce type de diffusion, notamment les plus participatives », la seconde a jugé intéressant de se prêter au jeu. Sur le site et les réseaux sociaux de la Comédie de Caen, le spectateur privé de théâtre a déjà pu découvrir Là tu me vois ?, pièce de Guillermo Pisani jouée sur l’application Zoom. Du 16 au 21 novembre, il peut suivre en direct un autre « Portrait de la Comédie de Caen », mis en scène cette fois par Marcial Di Fonzo. Après s’être laissé troubler le 11 novembre par les barbies géantes de Rabudôru, poupée d’amour d’Olivier Lopez, artiste en résidence au 24, rue de Bretagne dans l’ex-Panta-Théâtre.
« Après le premier confinement, il nous a semblé urgent en tant que Centre Dramatique National de soutenir les jeunes compagnies régionales qui sont les plus touchées par la situation. Les travaux de notre Théâtre des Cordes ayant été retardés, nous avons demandé à la ville de Caen d’avoir accès aux anciens locaux du Panta Théâtre. Nous avons monté une saison de résidence avec 24 compagnies locales et régionales, qui en plus de travailler à leurs créations réfléchissent ensemble à de nouveaux liens possibles avec le public », explique Élise Vigier. La Comédie de Caen a aussi pu maintenir ses activités en milieu scolaire. Ce qui n’est pas encore le cas des Plateaux Sauvages, en discussion sur le sujet avec ses établissements partenaires.
« Si nous pouvons maintenir une partie de notre activité de création, notre volet territorial qui est tout aussi important est à l’arrêt. C’est une grande peine, qui ne nous empêche pas toutefois de penser l’avenir ». À court terme déjà : en août-septembre, Les Plateaux Sauvages accueilleront les spectacles qui n’ont pu s’y jouer cette saison. Quant à la suite, Laëtitia Guédon l’envisage dans la droite ligne de l’action qu’elle mène depuis 2017 : pour accompagner au mieux la quinzaine de compagnies qui créent chez elle chaque saison, elle juge notamment important d’aller davantage vers un travail de coproduction. « La coréalisation a ses limites. Aujourd’hui plus que jamais, je crois que les lieux doivent pouvoir prendre des risques avec les artistes qu’ils défendent ». Pour cette métamorphose, il faudra davantage de moyens aux Plateaux Sauvages. L’appel est lancé. Kafka à l’appui.
Anaïs Heluin
Le Monde et son contraire. Portrait Kafka.
Texte : Leslie Kaplan
Mise en scène : Élise Vigier
Musique originale : Manu Léonard et Marc Sens
Régie générale et lumières : Clara PannetAvec Marc Bertin et Jim Couturier
Production déléguée : Comédie de Caen – CDN de Normandie
Coréalisation : Les Plateaux Sauvages
Coproduction : Les Lucioles – Rennes
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages
L’Aplatissement de la Terre et autres textes, suivi de Le Monde et son contraire de Leslie Kaplan sera édité aux Éditions P.O.L en février 2021Comédie de Caen – CDN de Normandie
Du 24 au 26 mars 2021
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