Remboursement de tous les spectacles annulés : la consigne du Ministère était claire et a, semble-t-il, été globalement suivie dans les scènes labellisées. Si l’on on s’y penche d’un peu plus près cependant, il y a des trous dans la coque, à la Scène Nationale d’Annecy par exemple. Signes avant-coureurs que le bateau du spectacle vivant menace de couler, faute d’un véritable plan d’urgence.
Voilà une mesure solidaire qui, financièrement parlant, n’a pas coûté grand-chose au Ministère. Le raisonnement était simple : en cas de spectacle annulé pour cause de Covid, les subventions ayant été versées aux lieux, les compagnies et les intermittents étant les maillons les plus fragiles de la chaîne du spectacle vivant, il a été demandé aux scènes labellisées (Théâtres nationaux, CDN, scènes nationales, opéras…) d’indemniser les compagnies en leur remboursant intégralement le prix de cession du spectacle initialement programmé, si celui-ci n’était pas reprogrammé avant la fin de l’année 2020.
A en croire le SYNDEAC et la CGT spectacles, la consigne a été plutôt bien appliquée. Bruno Lobé, vice-président chargé des relations sociales et de la chambre syndicale en lien avec la commission sociale du SYNDEAC, parle de « quelques cas exceptionnels » de remboursement au coût plateau (NDLR : la marge bénéficiaire de la compagnie n’est alors pas incluse). Lucie Sorin du SFA (Syndicat Français des Artistes Interprètes), évoque, elle, des difficultés dans les négociations avec les théâtres municipaux, mais aussi quelques bugs du côté des Opéras. « Il y a une série d’Opéras qui ne jouent pas le jeu, explique-t-elle. A l’Opéra de Paris, par exemple, ils ont placé leurs permanents comme les intermittents en chômage partiel, ce qui n’était pas du tout ce qui avait été convenu ».
20% plutôt que 100% du coût de cession
Côté théâtre, c’est Bonlieu, la Scène Nationale d’Annecy, qui endosse le costume du vilain petit canard. « On a insisté autant qu’on pouvait », exprime pourtant Bruno Lobé face à cette note discordante venant d’un lieu de tout premier plan, de ce qu’on appelle de par sa taille « une grosse scène nationale ». « Le Ministre a demandé un rapport détaillé sur les scènes nationales qui ne jouent pas le jeu », précise Lucie Sorin, qui pense toutefois qu’il n’y aura pas, du côté des compagnies et des salariés, de nécessité d’entrer dans des litiges. « L’idéal serait de résoudre les problèmes, quand ils se posent, sans se lancer dans des contentieux ».
C’est d’ailleurs bien ce qui semble se produire sur le terrain : une entente par le dialogue. Ainsi, si la Scène Nationale d’Annecy semble avoir d’abord unilatéralement proposé de payer les compagnies qui l’acceptaient à hauteur de 20% du coût de cession de leur spectacle, ce qui a créé quelques remous. Celles qui ne le souhaitaient pas semblent avoir réussi par la suite à trouver d’autres accords avec le lieu. Et les conflits paraissent maintenant résorbés.
Cette solution des 20%, même si elle est volontiers acceptée par les deux parties, s’écarte cependant très sensiblement des recommandations du Ministère. Pour Salvador Garcia, directeur de la Scène Nationale d’Annecy, le calcul est simple : « Il s’agit de veiller à ce que les compagnies et donc les intermittents sortent indemnes de la période actuelle. L’idée est donc que les compagnies déclarent leurs salariés en chômage partiel. Les 20% du prix de cession leur permettant de prendre en charge le coût que cela va avoir pour elles ».
« Il est impossible de respecter les consignes »
A ce calcul, on peut objecter que le chômage partiel procure un salaire minoré aux salariés. Également que la Scène Nationale a ainsi doublement recours à l’argent public. Salvador Garcia ne s’en cache pas: « Si on avait payé intégralement tous les spectacles de la période de crise au prix de cession, on aurait créé un déficit de 230000 euros. En un mois et demi, nous avons perdu 375000 euros simplement sur la billetterie. Et je ne parle pas des locations de salles, que nous sommes tenus d’effectuer pour augmenter nos ressources, qui ont dû être annulées ».
Au total, pour Salvador Garcia, les consignes du Ministère sont donc pour Bonlieu financièrement intenables. « Je veux bien endosser le rôle du bouc-émissaire, mais il y a des configurations dans lesquelles il est impossible de respecter les consignes. Les scènes nationales ne sont pas des CDN : elles ont une diffusion plus intense et plus diversifiée. Avec des compagnies étrangères. Des ensembles musicaux qui emploient des permanents. Ou encore des producteurs de concert privés. Les situations sont très différentes d’un événement à l’autre et nous avons dû composer avec cela. De plus, ici, nous avons une salle immense, de 1000 places. Nous faisons 80000 entrées à l’année. D’autres grands lieux comme Clermont, Valenciennes, Le Quartz à Brest ou la Maison de la Danse sont dans des situations similaires à la nôtre. Je vous assure que je ne suis pas le seul à procéder comme ça. Mais pour tous, l’objectif est le même : que les compagnies n’y perdent pas ».
S’il y a eu des écarts à la règle, ils seraient donc plus nombreux que ce qu’il se dit officiellement. Mais lieux et compagnies auraient ainsi trouvé des solutions permettant à tous de s’y retrouver. On pourrait donc s’en satisfaire, ne pas trouver là matière à davantage se formaliser. Néanmoins, pour Salvador Garcia, ces solutions de rechange montrent surtout que le secteur public du spectacle vivant ne peut durablement fonctionner sans une véritable solidarité nationale.
« 7 millions pour le privé, rien pour le public »
« On va arriver à surmonter la crise sur cette courte période de fin de saison. Mais en septembre, tout laisse penser que les théâtres pourront au mieux rouvrir en divisant leurs jauges par 2 ou 3 pour satisfaire aux règles sanitaires. Leurs ressources vont donc être amputées. Les compagnies, elles, vont également souffrir de l’annulation des festivals et voir leur diffusion s’effondrer. Quant aux mesures actuelles prévues pour les intermittents, elles sont notoirement insuffisantes », poursuit Salvador Garcia.
Les regards se tournent donc une fois de plus vers un Ministère qui reste pour l’instant aux abonnés absents. Salvador Garcia de conclure : « Il faut pour les intermittents une période blanche d’un an. Et bien sûr la création d’un fonds de soutien pour le secteur public du spectacle vivant. Pour l’instant, tout le monde a trouvé la solution dans les lieux labellisés. Mais ce n’est que 30% de la diffusion. Que vont devenir par exemple les théâtres municipaux ? Et si la crise se prolonge, aucune scène labellisée ne pourra durablement rembourser les compagnies au prix de cession. On a annoncé entre 5 et 7 millions pour 39 théâtres adhérents du secteur privé. Mais rien pour le secteur public. Et là-dessus, le Ministère ne s’exprime pas ! ».
Eric Demey – www.sceneweb.fr
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !