Le duo de chorégraphes Rosalba Torres Guerrero et Koen Augustijnen signent Lamenta. Après Badke, premier spectacle en collaboration en 2013 qui réunissait des danseurs palestiniens, ce nouvel opus plonge en toute liberté dans les traditions grecques et les tressent à la danse contemporaine.
C’est lors de voyages en Grèce initiés à partir de 2017 que les danseurs et chorégraphes Rosalba Torres Guerrero (d’origine franco-espagnole et née en Suisse) et Koen Augustijnen (de nationalité belge) découvrent le miroloï. Signifiant littéralement « discours sur le destin » (de « logos », discours, et « mira », destin), le terme désigne une lamentation mêlant instruments et chants. Interprété le plus souvent à la clarinette, au luth ou encore au violon, le miroloï est une pratique autant culturelle que sociale. Un rituel célébrant la disparition et l’exil, soit des expériences chevillées au corps des habitants de l’Épire, dont le miroloï est originaire. Dans ce territoire du nord-ouest de la Grèce sous influence des Balkans – et des musiques tziganes –, les reliefs montagneux ont de tout temps accentué l’isolement et la dureté de la vie quotidienne. Ainsi la fête y est-elle inextricablement nouée à la souffrance et à l’évocation des absents, qu’ils soient défunts ou exilés. La fête pour dire, dépasser, supporter la tristesse.
Dans Lamenta, les deux chorégraphes réactivent ces musiques en réunissant une équipe de neuf danseurs grecs. Ce faisant, l’équipe offre un travail à la croisée de la tradition et de la modernisation, aussi bien dans la danse que dans la musique – des musiciens grecs accompagnés du français Magic Malik signant la bande son du spectacle. Sur un plateau entièrement nu, plongé dans l’obscurité et ceint de part et d’autre de murs de projecteurs, les interprètes entrent progressivement en scène. S’ils sont tous vêtus différemment, leurs costumes noirs, où le blanc point, sont tous marqués par la présence de longs pans d’étoffe. Dans la pénombre, chacun se positionne et commence à se balancer dans un même mouvement.
Se dévisageant les uns les autres, ils vont ensuite évoluer et dérouler leur partition. Le miroloï offrant une variété de rythmes et de couleurs sonores, la danse elle-même en épouse toutes les nuances. Battements de pieds, de mains ou de jambes au sol, rondes entêtantes encerclant ou soutenant des solos et des duos, portés, contorsions toniques à terre : dans un mouvement cyclique, les corps disent et répètent inlassablement la douleur et l’arrachement à celle-ci, seul ou à plusieurs. Passant d’une danse et d’une émotion à l’autre comme du collectif à l’individuel, se jouant du rythme, imposant à ses interprètes une énergie sans faille, Lamenta alterne entre des moments où gestes et musiques se font lancinants, s’étirant comme une longue plainte, et d’autres où ils s’affirment comme violents, répétitifs, rapides.
Au fil du spectacle, trois parties semblent se dessiner, comme pour les trois occasions de convoquer le miroloï : deuil, exil et mariage amenant l’éloignement d’un membre de la famille. Lors de chacune de ces trois séquences, la musique, les intensités lumineuses comme les changements de costumes – cheminant vers l’épure et abandonnant le noir pour révéler le blanc –, soutiennent l’évolution des diverses atmosphères. Face à ce travail porté par une belle énergie de troupe, les sentiments sont multiples. Outre le regret de ne pas avoir la présence sur scène des musiciens – tant l’on pressent à quel point la danse et la musique s’influencent normalement en direct dans des improvisations réciproques – et la constatation que les costumes entravent certains mouvement dans la première partie, l’ensemble gagnerait à être plus resserré et articulé dans son déroulé. De même, un sentiment de lassitude peut naître face à des répétitions, à une manière de s’enferrer dans certaines séquences. Demeure néanmoins des scènes puissantes par leur incarnation, leur profondeur et leur capacité à dire la douleur et la tristesse. Gageons que le spectacle gagnera en maîtrise au fil des représentations et que l’équipe trouvera le souffle nécessaire pour porter Lamenta avec la juste intensité.
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Lamenta
Chorégraphie Koen Augustijnen, Rosalba Torres Guerrero
Avec Konstantinos Chairetis, Spyridon Christakis, Petrina Giannakou, Lamprini Gkolia, Christiana Kosiari, Athina Kyrousi, Dafni Stathatou, Alexandros Stavropoulos, Taxiarchis Vasilakos
Direction musicale Xanthoula Dakovanou
Avec Magic Malik (flûte, voix), Nikos Filippidis (clarinette) et quatorze musiciens grecs
Dramaturgie Georgina Kakoudaki, Guy Cools
Environnement sonore Sam Serruys
Lumière Begoña Garcia Navas
Costumes Peggy HoussetProduction Gloed vzw / Siamese Cie
Coproduction La Comédie de Clermont-Ferrand Scène nationale, Festival d’Avignon, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, La Villette Paris, Charleroi danse, Le Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne, Ruhrfestspiele Recklinghausen (Allemagne), Mars-Mons Arts de la Scène, Arsenal Cité musicale -Metz, Pôle-Sud Centre de développement chorégraphique national de Strasbourg, Le Manège Scène nationale de Maubeuge, Théâtre Paul Éluard de Bezons Scène conventionnée, Festival d’Athènes et d’Épidaure, Duncan dance Research center (Athènes)
Avec le soutien de Belgian Tax Shelter, Drac Auvergne-Rhône-Alpes et la Ville de GandDurée : 1h10
Festival d’Avignon 2021
Cour minérale – Avignon Université
du 7 au 15 juilletThéâtre Paul Eluard, TPE Bezons
le 17 juilletMars – Mons arts de la scène (Belgique)
les 8 et 9 octobreLe Maillon Théâtre de Strasbourg Scène européenne, en coréalisation avec Pôle Sud Strasbourg
du 13 au 15 octobreFestival Fira Mediterrania de Manresa (Espagne)
le 17 octobreStadsschouwburg Cultuurcentrum Brugge (Belgique)
le 20 octobreKunstencentrum Vooruit, Minardschouwburg Gent (Belgique)
du 21 au 23 octobreLa Villette, Paris
les 13 et 14 décembreKVS Bruxelles
les 28 et 29 janvier 2022Les Théâtres de la Ville de Luxembourg
les 2 et 3 févrierCharleroi Danse Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles
le 19 févrierFestival Passages, Arsenal Cité Musicale, Metz
le 5 mai
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