La Route du Sirque, à Nexon dans le Limousin, n’aura pas lieu cette année. Pour permettre malgré tout la rencontre entre artistes et spectateurs, Martin Palisse et son équipe ont inventé les Multi-Pistes. Une initiative réjouissante. L’esquisse d’un tournant dans le rapport du Pôle Cirque à son territoire.
Razès, commune de 1020 habitants située dans le département de la Haute-Vienne, est davantage connue pour les tombeaux souterrains, pour les monuments mégalithiques et les ossements qui y ont été découverts au XIXème siècle que pour le dynamisme de sa vie culturelle. Équipée depuis peu d’une halle en bois, sa place principale est pourtant un lieu idéal pour l’organisation de spectacles. On le constate le 17 juillet, à l’occasion de la première sortie estivale du Sirque – Pôle National Cirque (PNC) de Nexon. La municipalité y a mis du sien : pour célébrer la venue de l’artiste brésilienne, du musicien et compositeur Cosmic Neman et de Martin Palisse, directeur du Sirque, elle a organisé un marché des producteurs. Les habitants du village et des alentours sont venus nombreux. Comme les artistes et l’équipe du Pôle, ils ont su apprécier cette fête de village sous le signe du nouveau cirque. Une expérience nouvelle pour le PNC, qui va se poursuivre tout l’été dans différents bourgs. À Nexon aussi, où ont lieu tous les samedis des rendez-vous entièrement gratuits imaginés pendant le confinement : les Multi-Pistes.
Entre château et place de village
En temps plus normaux, le Sirque ne serait pas allé jusqu’à Razès. Du 19 au 22 août, il aurait accueilli à Nexon une soixantaine de représentations sous plusieurs chapiteaux, en salles et en extérieur. Des petites formes auraient côtoyé les grandes, aujourd’hui impossibles à programmer du fait des mesures sanitaires. Car si l’équipe du lieu affirme sur le dossier des Multi-Pistes que « rester distant, ce n’est pas son truc », elle a « bien écouté les ordres les injonctions les recommandations ». Comme il nous le disait dans cet article daté du 16 avril, Martin Palisse a ainsi décidé très tôt pendant le confinement d’annuler son festival pour inventer autre chose. Cela avec un enthousiasme que l’on ressent aussi bien à Razès que le lendemain à Nexon, lors du premier des six samedis circassiens de l’été. « En tant que Pôle National des Arts du Cirque, je considère qu’accompagner artistes et techniciens dans cette période difficile est notre mission. C’est aussi l’occasion de constater les dérives de nos fonctionnements, et d’inventer des manières d’y remédier. Personnellement, je trouve ça assez passionnant », dit Martin Palisse.
Des spectacles initialement programmés, seuls Screws d’Alexander Vantournhout, Ma maison de Marlène Rubinelli-Giodano, Une pelle d’Olivier Debelhoir, une étape de création de Searching for John et les concerts de Tiger Tigre et de Sourdurent viennent cet été à Nexon. Les autres sont des formes légères invitées au dernier moment. Quelque unes sont abouties et ont déjà une vie derrière elles, comme le très dynamique Bal Trap du jeune collectif de bascule La Contrebande et le duo Marcelle & Claude d’Océane Pelpel et Sebastien Davis Van Gelder, que l’on a pu découvrir le 18 juillet autour du château. Ou encore le Récital clownatoire de Ludor Citrik. De nombreuses étapes de travail permettent au public d’approcher le processus de création de plusieurs des sept artistes associés au Sirque depuis 2019 : les deux acrobates de Marcelle & Claude, Julia Christ, Jani Nuutinen et Stephan Kinsman. « Affirmer la solidarité du Sirque envers ses artistes associés est plus que jamais une priorité pour moi. À travers des accueils en résidence et la mise à disposition de moyens de production, je souhaite les aider à reprendre leurs recherches. Tout en cherchant à redonner du sens à nos métiers, empêtrés aujourd’hui dans une logique néolibérale et un élitisme qui les coupe des territoires et de leurs habitants ».
Le cirque à nu, en mue
En mettant au cœur des Multi-Pistes le galop d’essai, le Sirque prend un risque qui se tient à l’écart des grandes prouesses auxquelles se livrent encore sur la piste de nombreuses compagnies de cirque. Il donne à voir la fragilité, le doute qui se cache derrière l’exploit. Le cirque à fleur de peau, qui tâtonne parfois merveilleusement. Comme dans les prémisses de Odile et Odette de Julia Christ et Alice Rende. Un tout jeune duo, car c’est pendant le confinement que se sont rencontrées la contorsionniste brésilienne et l’acrobate berlinoise installée à Nexon. Cela par les hasards de l’amour : c’est pour passer deux jours avec son compagnon Andrea Speranza, qui a monté la compagnie La Frontera avec Stephan Kinsman et Ximena Lemaire-Castro associés au Sirque, qu’Alice Rende s’est rendue sur les terres du Sirque en mars dernier. « Nous qui trouvions que nous travaillions et tournions trop, que cela nous empêchait de passer du temps ensemble, Andrea et moi nous sommes retrouvés confinés à Nexon, où je ne connaissais personne. Martin Palisse nous a offert de loger dans l’une des roulottes destinées d’habitude aux compagnies en résidence, et quatre mois après nous y sommes encore. Un luxe total ! », raconte une Alice visiblement ravie.
Pendant le confinement, Martin Palisse a décidé d’ouvrir un espace d’entraînement aux six circassiens présents à ce moment-là dans le village. « Après deux semaines de confinement strict, nous avons investi ce lieu. Et très vite, Julia Christ et moi nous sommes bien entendues. Partageant un même goût pour la danse, nous avons d’abord travaillé à distance sur des chorégraphies. Puis est venu le main à main, que Julia n’avait jamais pratiqué auparavant, et dont j’avais pour ma part eu quelques expériences qui m’avaient déplu. Surtout pour le rapport entre porteur et voltigeuse. Avec Julia, j’ai senti qu’autre chose était possible ». Séduit par le duo naissant, Martin Palisse a proposé aux deux artistes de participer aux Multi-Pistes. À raison : leur main à main est d’une grâce et d’une profondeur rares.
Des pistes pour la suite
Odile et Odette vont très certainement continuer de se côtoyer après cette aventure estivale. « Il est très rare que des créations naissent de manière aussi spontanée, sans avoir auparavant monté un projet. Je crois que les choses devraient toujours se passer ainsi. Et peut-être moins dans le mouvement, dans les grandes tournées », exprime Alice. Sa première place de village, à Razès avec son solo en cours d’écriture Passages, donne envie à l’artiste d’expérimenter d’autres rapports au territoire. De même que Martin Palisse, aussi bien en tant que directeur de La Route du Sirque qu’en tant que jongleur. Sa performance Voyage optique, écrite en quatre jours et demie avec son complice de longue date Cosmic Neman, a été conçue dans ce but. Sa première représentation à Razès, après Passages, lui a fait ressentir physiquement la nécessité de remettre le jonglage au cœur du village. « J’ai été assez mauvais ce soir-là. Le bruit, la lumière… N’ayant pas l’habitude de jouer dans des espaces publics, tout me perturbait. J’ai mesuré à quel point nos pratiques se sont éloignées de leurs origines populaires, en grande partie du fait d’un désir de reconnaissance institutionnelle ». Un constat qui ouvre à La Route du Sirque de nouvelles perspectives.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Les Multi-Pistes.
Plus d’informations sur https://lesirque.com/
Bonjour,
Cet événement culturel est bienvenu. Cependant votre remarque concernant la vie culturelle de Razès est pour nous très blessante voire révoltante par son mépris et son ignorance. En effet, notre compagnie théâtrale née dans cette même commune il y a 13 ans y maintient un activité culturelle régulière. Outre les lectures balades, les ateliers théâtre et leurs spectacles, les spectacles de la compagnie et les stages d’improvisation, il est insultant de voir balayer d’une formule mal sentie les 10 années d’organisation du festival « les lectures du fraisse » (à Razès) qui investissait cette même place avant son aménagement puis développait sa programmation sur une semaine dans les chemins, bois et les champs. Vous insultez non seulement notre travail mais également celui de nos associés, les maisons d’éditions, les troupes de théâtre et les musiciens comédiens et techniciens qui ont contribué à ces magiques instants de partage comme la collaboration fructueuse et généreuse avec le festival des francophonies dont nous avons reçu de nombreux auteurs. On est bien loin, dans votre « article », de l’information culturelle, encore plus éloigné d’un journalisme consciencieux et on frise le mépris urbain pour les campagnes. Merci de bien vouloir réparer votre grossière erreur.
G. Ponsolle
Compagnie Le Fil de l’A20, Razès