Samedi 6 juin, un mois après la déclaration d’Emmanuel Macron au monde de la culture, la CGT appelait à une manifestation Place Royale qui a rassemblé peu de militants, mais beaucoup de policiers. Une manifestation qui tourne à la flashmob express, avec la participation exceptionnelle des performeurs des BRAV-M (Brigades de répression de l’action violente motorisées). La culture est réellement en train de se réinventer !
« Ils ont des moyens. Des tenues bien neuves. Des belles bécanes. Visiblement, il y a des secteurs où il y a de l’argent ». Appelons-la Sonia, la quarantaine, elle est monteuse dans l’audiovisuel. Sonia a visiblement apprécié la prestation des forces de l’ordre à l’issue du rassemblement initié par la CGT spectacles ce samedi 6 juin. Un rassemblement qui n’a pas été autorisé malgré un référé posé par cette même CGT, mais qui pour autant n’a pas été officiellement interdit, argumente Denis Gravouil, secrétaire général de la CGT Spectacle. Le droit est une affaire de mots et de procédures. Les forces de l’ordre sont, elles, dans un registre plus physique, davantage attentives à l’effet qu’elles produisent qu’aux articulations de leur logique. Le conflit – outil privilégié de la dramaturgie théâtrale – est bien en place.
Du côté de la scénographie, le beau rectangle de la Place Royale, au cœur de Paris, avec ses stations de métro Art Nouveau, ses skateurs, et la célèbre rue de Rivoli désormais largement confiée aux vélos. Adossé au Louvre, jouxtant la Comédie Française, le vaste plateau arbore en fond de scène, le Conseil d’État, qui décidera mercredi de l’issue qu’il donnera au recours posé par la CGT contre le décret du 11 mai interdisant les rassemblements de plus de dix personnes, et donc, de facto, les manifestations. Au même moment, un peu partout en France, d’autres rassemblements se sont formés, portant les mêmes revendications : que des négociations concrètes débutent pour traduire en acte les engagements pris par Emmanuel Macron vis à vis de la culture. Qu’un véritable plan de relance pour le secteur se dessine. Qu’au-delà, tous les travailleurs précaires soient davantage protégés. Et enfin, que la liberté de manifester soit rétablie. Les plus belles pièces sont souvent portées par le souffle de l’utopie…
La pièce tourne à la comédie-ballet
Midi, début de la représentation. Moins d’une centaine de manifestants sont là, peu nombreux donc, éparpillés. Tous masqués. Au coin de la rue, des camions de CRS attendent déjà, prêts à surgir des coulisses, on les suppose impatients. Quelques notes de l’Internationale d’une sono crachotante, des drapeaux rouge siglés par le syndicat organisateur claquent au vent et Denis Gravouil entame son discours face à la maigre foule. Il évoque « la séquence hallucinante » du discours de Macron, les attentes : d’une vraie concertation sur les conditions sanitaires de la reprise, d’un plan de relance du secteur, d’une prise en compte de tous les travailleurs précaires. Mais son discours se perd vite dans le brouhaha motorisé des BRAV-M qui arrivent par la rue St-Honoré.
La pièce tourne alors à la comédie-ballet. Venant à cour et à jardin, deux cordons des forces de l’ordre se déploient pour entourer rapidement le rectangle de la Place Royale. « On va rester calme » demande Gravouil sentant que la tension monte chez les manifestants. Les policiers se retrouvent très vite en surnombre, le plus souvent casqués, à défaut d’être masqués, armurés comme à la télé. Mention spéciale aux BRAV-M, souvent dotés de visières sombres qui leur couvrent les yeux et les rendent définitivement non identifiables. L’effet d’intimidation est très réussi. Juste avant que les deux cordons ne se rejoignent, certains s’extirpent de la nasse. « On nous empêche donc de sortir« , explique Denis Gravouil, « c’est original « , lance-t-il un peu ironique, pour conclure ce deuxième acte.
Ils demandent aux policiers d’utiliser leur cerveau
La suite est plus confuse. Les policiers entreprennent de dresser des procès verbaux. Denis Gravouil conseille de laisser faire pour mener plus tard une action commune contre ces amendes. Certains s’en prennent verbalement à des policiers goguenards, leur disent qu’ils sont dans l’illégalité, leur demandent « d’utiliser leurs cerveaux ». On croit rêver. Des précaires de l’hôtellerie-restauration prennent la parole. L’action se fragmente ; Jusqu’à ce que Denis Gravouil annonce au micro que le rassemblement est invité à quitter la place. Les policiers ont choisi d’exfiltrer les contrevenants direction…la Comédie Française. On apprécie ce symbole final – cette sortie des manifestants, la queue basse, entre deux rangs fournis de force de l’ordre – qui sonne un peu, disons-le, comme un retour à la niche.
Pour sortir d’autorisations de reprise que les conditions sanitaires empêchent par ailleurs, il faudra donc attendre encore un peu. Pour régler le sort des congés maternité et des nouveaux entrants concernant les indemnités chômage, il faudra donc attendre encore un peu. Pour voir l’ébauche d’un plan de relance au-delà des 50 millions annoncés il y a un mois pour le CNM (Centre National de la Musique), il faudra donc attendre encore un peu. C’est l’amère épilogue de ce spectacle délivré par Denis Gravouil. En attendant, en réponse au mantra macronien, la culture a trouvé une forme croisant les disciplines, l’Intérieur et la Culture, aux confins du théâtre, de la danse et du maintien de l’ordre, aussi politique que spectaculaire, qui prouve, s’il le fallait, son extraordinaire capacité à se réinventer.
Reportage d’Eric Demey – www.sceneweb.fr
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