Avec la Belle Scène Saint-Denis, le Théâtre Louis Aragon a proposé dans le Off d’Avignon, pour la dixième année, des plateaux danse, occasion de (re)découvertes d’artistes chorégraphiques. Un éclectisme aussi exigeant que stimulant.
Cela fait désormais partie des institutions du Festival Off d’Avignon : à la Parenthèse, le Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France prend durant une petite dizaine de jours ses quartiers d’été. Avec son programme de formes courtes dédiées à la danse et à la performance, La Belle Scène Saint-Denis permet à des artistes, jeunes comme confirmés, de donner à voir leur travail. Plutôt qu’une seule ligne chorégraphique défendue, les artistes dessinent des paysages pluriels et singuliers. La diversité à l’œuvre dans les parcours, les formations, comme les axes travaillés s’est énoncée comme jamais dans la programmation matinale prévue du 12 au 16 juillet. Là se sont succédé Clédat & Petitpierre, Sylvain Prunenec, le duo composé de Clémentine Maubon et Bastien Lefèvre, et Maël Minkala.
Originaire de Brazzaville, ce dernier a présenté un extrait de Mal compris. Dans ce solo, le danseur mêle danse contemporaine et évocations plus traditionnelles. A travers ce travail tout en intensité, l’artiste exprime par le corps et le visage diverses émotions, et il entend renvoyer aux assignations que subissent les individus. Le précédant, Clémentine Maubon et Bastien Lefèvre ont proposé un extrait d’Abdomen. Un duo percutant où les abdominaux deviennent les moteurs de la danse, l’origine profonde du mouvement. Avec un tempo le plus souvent extrêmement soutenu, où les gestes pulsionnels s’enchaînent à un rythme galopant, le duo déplie en plusieurs séquences des danses jouant parfois avec humour, et toujours avec une grande maîtrise, de ce point de recherche.
Les deux autres formes proposées l’étaient par des artistes déjà largement reconnus. Ainsi, c’est l’intrigant et complètement inattendu duo des Baigneurs qui a ouvert le bal de la programmation matinale. Signé par le duo de sculpteurs, performers et chorégraphes Clédat & Petitpierre – composé de Coco Petitpierre et Yvan Clédat, tous deux nés en 1966 et travaillant ensemble depuis 1986 – Les Baigneurs séduit immédiatement. Ce n’est pas sur la scène qu’on les découvre, mais en attendant devant le théâtre. Tandis que le public arrive au compte-gouttes et patiente à l’entrée de la Parenthèse, un étrange duo s’avance, soit deux personnages aussi massifs que légers. Ces poupées – faites de tulle plissé – vêtues de maillots de bain à rayures, de bonnets de bain noir et tenant chacune une serviette de plage bleue sous le bras évoluent avec une infinie lenteur. Leurs visages ont beau être dénués d’expression, l’on ressent à les regarder évoluer de multiples sentiments.
Une histoire se joue là, pour nous, un récit très simple, celle de deux baigneurs étendant leur serviette pour un bain de soleil et posant à côté d’eux leur ballon jaune – soleil aux rayons duquel ils se font dorer. Évoluant patiemment, s’arrêtant pour regarder les spectateurs qui les entourent, ils renvoient à tout un imaginaire d’enfance par leur forme naïve et lisible par tous, mais aussi à l’histoire de la peinture moderne : le développement de la mode des bains de mer à compter du milieu du XIXe ayant amené nombre de peintres, de Pablo Picasso à Fernand Léger, d’Edward Munch à Paul Cézanne, à s’emparer de ce thème. Ce ballet fascinant offre un temps suspendu, où la précision et la délicatesse des mouvements sont d’autant plus fascinantes qu’elles surgissent de si étranges et sommaires poupées.
Puis a suivi Le Fil de Sylvain Prunenec. Depuis la fin des années 1980, Sylvain Prunenec a été interprète pour des chorégraphes tels Odile Duboc, Dominique Bagouet, Trisha Brown, Nathalie Collantes, Boris Charmatz, Christian Rizzo, Olga De Soto, Fanny de Chaillé, ou encore Dominique Brun. Dans Le Fil, le danseur retraverse certains moments de son parcours. Tout en redonnant à voir des séquences d’œuvres auxquelles il a participé, il raconte les accidents, les imprévus, et la manière dont les chorégraphes se sont parfois saisis de ces écarts inattendus. C’est un récit en corps et en mots de la manière dont la danse contemporaine se vit et se fabrique, en puisant en permanence dans le vivant pour s’élaborer.
À travers cette réflexion délicate et subtile sur le geste dansé, sur les traces et sur la manière dont la mémoire elle-même recompose ce qui a eu lieu, Le Fil se donne comme un témoignage réflexif et en actes d’un art voué à la disparition. C’est, aussi, une vision possible du rôle du danseur, de la façon dont l’interprète chemine dans une œuvre. En alliant intelligemment le geste et la parole, Sylvain Prunenec propose l’hypothèse qu’« interpréter, c’est inventer des déclinaisons de soi ».
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
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