Jean Castex, le Premier Ministre n’a pas parlé de la culture hier lors de sa conférence de presse. Tout le monde a bien compris que les salles de spectacle ne pourront rouvrir à partir du 1er décembre. Fragilisé par le reconfinement, Jean Robert-Charrier, le directeur du Théâtre de la Porte Saint-Martin se projette malgré tout dans l’après et appelle le théâtre privé à se renouveler artistiquement pour conquérir de nouveaux publics.
Quel est l’impact du reconfinement sur le Théâtre de la Porte Saint-Martin ?
Il est économiquement catastrophique, comme pour l’ensemble du secteur culturel. D’autant que nous avions fait le pari de lancer une création [Avant la retraite, NDLR] que nous n’avons absolument pas eu le temps d’amortir. L’instauration du couvre-feu nous a placés dans une situation de survie. En jouant seulement trois soirs par semaine et le week-end, nous avions bien conscience que, financièrement, cela ne tiendrait pas, que nous ne pourrions pas assumer ce rythme pendant des semaines, voire des mois. Nous n’avions pas, alors, une démarche de rentabilité, même si nous avons tout fait pour qu’elle le soit, mais tenions simplement à affirmer la parole d’un auteur, Thomas Bernhard, que nous avions décidé de défendre. Avec le reconfinement, la situation est plus nette, mais l’avenir est teinté de gris.
Craignez-vous que le public se détourne durablement des théâtres ?
Contrairement aux spectateurs du théâtre public, habitués à une logique d’abonnement, les gens ont, c’est vrai, mis du temps à reprendre l’habitude d’aller au théâtre privé. Avec la fermeture imposée lors du premier confinement, un doute terrible s’est mis à planer sur nos lieux, considérés comme potentiellement dangereux, ce qui nous a fait perdre une partie du public, inquiet par les sorties. Pour autant, je ne crois pas une seule seconde que, comme le disent certains, la télévision et Netflix prennent durablement le pas sur le spectacle vivant. Je pense que la question ne se pose même pas pour les publics qui sont déjà venus au théâtre. A chaque fois qu’un événement majeur se produit, la vie reprend toujours ses droits. Il faut arrêter de tomber dans des discours faciles et se poser les bonnes questions.
Quelles sont-elles ?
Aussi fondamentale soit-elle, l’équation financière sera la plus simple à résoudre car elle demande des compétences parmi les plus basiques et que nous bénéficions d’un soutien réel et massif, même s’il reste encore flou, de la puissance publique. Il est, en revanche, beaucoup plus difficile de savoir comment on se rétablira artistiquement après avoir été étiquetés comme « non essentiels », de comprendre pourquoi aussi peu de personnes s’intéressent au théâtre, de trouver de nouveaux publics. Pour l’après, il faut que nous nous bougions et que nous réfléchissions en termes artistiques pour ne pas uniquement refaire les choses comme avant. Les spectateurs reviendront, si on leur donne quelque chose à voir. Si on pense qu’on a déjà les bonnes recettes, on ne s’en sortira pas.
Avez-vous déjà des pistes ?
Les expériences récentes menées à la Porte Saint-Martin nous ont apporté une très bonne nouvelle : les publics jeunes ne se contentent pas de la même médiocrité que certains de leurs aînés, ravis devant des spectacles à la papa faits pour ne choquer personne avec des histoires de mâles blancs et de maîtresses. Pour le captiver, il faut travailler sur un théâtre de forme et être plus exigeants, comme nous avons su le faire avec Le Jeu de l’amour et du hasard ou Ça ira. Ma ligne de conduite est de faire jouer de grands auteurs et de grands acteurs, dirigés par de grands metteurs en scène, et pas d’aligner des vedettes.
Dans le privé, qui mise souvent sur les têtes d’affiches, c’est une petite révolution…
Par le passé, le théâtre privé a créé beaucoup d’auteurs contemporains et a révélé de nombreux grands acteurs. Et puis, avec le temps, le théâtre public a pris la place de la recherche sur la forme pendant que le privé délaissait le travail de mise en scène au profit d’acteurs vedettes, mais on a compris que cela ne marchait pas. Dans le théâtre public, il y a trop de spectacles vus souvent, à cause de durées d’exploitation courtes, voire très courtes, par très peu de monde ; alors que, dans le théâtre privé, il y a beaucoup de public, mais, la plupart du temps, une moindre exigence artistique.
Reprendre un spectacle du théâtre public dans le privé permet de donner confiance aux spectateurs du premier dans le second, mais, attention, il ne faut qu’il arrive pas comme un cheveu sur la soupe. J’essaie que la programmation se tienne, qu’elle ait une cohérence, afin que le public vienne également voir nos productions maison et y trouve son compte. Surtout, je ne veux pas céder au désir de reprendre un spectacle du théâtre public pour quinze représentations. Pour créer un lien durable et faire venir de nouveaux spectateurs grâce au bouche-à-oreille, il faut une exploitation longue.
Et peut-être un effort tarifaire ?
Tant que nous serons trop chers, nous ne trouverons pas, effectivement, de nouveaux publics. Quand un spectacle vient du théâtre public, je pense que l’opération doit être blanche financièrement et que le théâtre privé ne doit pas s’en servir pour faire du gras. Travailler sur la grille tarifaire, sur la qualité de nos productions et sur les relations publiques est devenu indispensable pour conquérir de nouveaux spectateurs. Il ne faut jamais oublier que le théâtre n’intéresse que 3% de la population française, que, si notre petit milieu est fasciné par le travail de Joël Pommerat, André Marcon ou Alain Françon, personne ne les reconnait dans la rue, et qu’il y a donc un énorme travail de popularisation à mener.
Propos recueillis par Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Bravo, Jean, c’est clair, inventif et ce ne sont pas que des mots, tu l’as prouvé avec des artistes de choix. Essentiel !!!!!! j ´m