Né en fin d’année dernière, le collectif StillStanding for Culture porte à travers des actions et des textes collectifs une critique de la gestion de l’épidémie de Covid-19 par le gouvernement belge. Cela dans une riche démarche de convergence des luttes.
« Je suis un sans papiers qui vit ici depuis 2004. Je suis un travailleur, et je représente un groupe de sans papiers qui occupe trois endroits à Bruxelles. Ce qu’on veut dire à travers ces occupations politiques, c’est que nous sommes des citoyens non enregistrés, pas des sans papiers car nous aussi nous participons à l’évolution du pays (…) Ce qu’on revendique, c’est d’éclairer les critères pour la régularisation des sans papiers ». Le 13 mars, ce n’est pas dans l’un des trois lieux qu’il évoque – l’église du Béguinage, l’Université Libre de Bruxelles (ULB) et l’Université Flamande de Bruxelles (UFB) – que Mohamed prend la parole. Après une comédienne, qui évoque le temps où le théâtre était lieu d’échange et de rencontre, c’est au Théâtre National Wallonie Bruxelles qu’il s’exprime, avant de laisser la parole à Isis, qui se mobilise chaque lundi à l’ULB « avec des centaines de jeunes, contre la précarité normalisée ». L’étudiante passe le relai à Maria, venue dire porter la colère de l’union des travailleuses et travailleurs du sexe face à la criminalisation dont sont victimes ses membres.
Rassemblées par le collectif StillStanding for Culture à l’occasion de la date anniversaire de la première fermeture des lieux culturels, des bars et des restaurants en Belgique, toutes ces personnes et d’autres encore introduisent un échange diffusé en direct et encore accessible sur la toile. Son but : « donner de la résonance à l’indispensable débat public qui doit advenir sur la gestion de la crise sanitaire, et pour en faire entendre d’autres récits », lit-on sur le site internet du collectif qui œuvre depuis sa création dans une démarche de convergence des luttes. Les questions que formule le groupe sont sensiblement les mêmes que celles qui circulent en France dans les théâtres occupés : « Quelles seront les conséquences à plus long terme d’une société qui, en temps de pandémie, considère la culture et le lien social comme “non essentiels” et les conditionne à l’arrivée du soleil et des “assouplissements” ? Quels sont les enjeux et les questions qu’ont véritablement soulevés cette crise ? ».
« La culture n’est pas une variable d’ajustement »
Réunis en visioconférence fin mars, plusieurs membres du collectif reviennent pour nous sur ses débuts. « Nous y sommes tous arrivés par des biais différents, deux ou trois mois après le début de la crise. Pour ma part, c’est un mouvement citoyen flamand qui m’a invité à rejoindre StillStanding for Culture », dit le comédien et metteur en scène David Murgia, qui profitait quelques semaines plus tôt de sa venue au Théâtre Jean Vilar à Vitry-sur-Seine avec sa nouvelle création, Pueblo, pour parler du collectif belge aux professionnels et journalistes présents. Les Vitryens ont aussi pu le voir sur une place publique dans une performance réalisée dans l’esprit StillStanding, dont la première action de l’année fut la représentation, le 16 janvier 2021 sur la très symbolique place de la Monnaie à Bruxelles – c’est là qu’a commencé la Révolution belge, suite à une représentation de l’opéra La Muette de Portici, du « seul spectacle de tout le royaume ». Un cabaret de trente minutes, pluridisciplinaire, diffusé en direct sur les réseaux sociaux et projeté sur les façades de nombreux lieux culturels. Après quoi le collectif a lancé deux appels à contestations, le 20 février, journée mondiale de la Justice Sociale, et le 13 mars. Les professionnels de la culture, ainsi que des citoyens solidaires, furent à chaque fois nombreux à répondre, à exprimer créativement leur colère.
Conversations de bistrots fermés, représentation théâtrale pour volatiles en cages, concert de percussions silencieuses… Les actions menées ces deux jours-là ont laissé de nombreuses traces filmées, photographiées, que l’on peut explorer sur le site du collectif, qui documente ainsi avec précision le mouvement. Sous des formes très diverses, toutes ces façons de jouer avec les interdits disent la même chose : « La culture n’est pas une variable d’ajustement !», titre d’une carte blanche signée en décembre dernier par 500 organisations artistiques et socioculturelles belges, dont beaucoup font partie du collectif StillStanding for culture. « « Vivre avec le virus », c’est répartir le poids des mesures sur l’ensemble de la société. Et s’il faut privilégier certains secteurs par rapport à d’autres, ce n’est certainement pas ceux choisis jusqu’ici par les autorités belges, mais plutôt ceux qui créent des liens dans le monde réel, qui font le tissu de nos territoires et de nos sociétés », dit notamment la tribune. Un cri qui tarde à être écouté en hauts lieux.
Sortir de la logique d’urgence
« Si à ses débuts, StillStanding for Culture exprimait avant tout le désir des artistes et du milieu à refaire culture par lui-même, il s’est progressivement dirigé vers des questions plus larges, relatives à la question démocratique. Si nous voulons toujours dire l’urgence de défendre la culture comme bien commun, et l’accès à la culture comme droit fondamental au même titre que l’accès aux soins, à l’éducation ou à la justice, nous souhaitons plus largement exprimer au gouvernement la nécessité de sortir de la logique d’un régime d’urgence et d’exception », affirme Isabelle Jans, coordinatrice d’Aires Libres, l’une des fédérations qui portent en Belgique le dialogue entre les acteurs spectacle vivant et ceux du politique. Ces fédérations constituent l’une des forces vives du collectif dont Isabelle Jans travaille avec d’autres à la coordination. Elle poursuit : « !es syndicats n’ont par contre quasiment par bougé depuis le début de la crise. Or nous avons besoin d’eux ! ».
La photographe franco-belge Claire Allard, qui a notamment réalisé pendant vingt ans un reportage sur les techniciens du spectacle – Les Hommes de l’ombre – précise : « un syndicat, le CSC, a enfin un peu bougé. Après des années à s’être battus pour la création d’une branche culture, certains de ses membres ont obtenu gain de cause. Mais il est vrai qu’il y a encore beaucoup de travail en la matière », dit celle qui œuvre également à la coordination de StillStanding for Culture. L’engagement des syndicats permettrait aux revendications du collectif de davantage se faire entendre du gouvernement et des médias, dont tous les participants à notre visioconférence déplorent le peu de réactions. Ils ne désespèrent pas pour autant. Ils poursuivent leur lutte, et regardent avec intérêt ce qui se passe hors de leurs frontières.
L’occupation des théâtres en France, par exemple, leur donne du courage. « Au sein de notre mouvement, nous partons du principe que nous sommes tous connectés, tous liés les uns aux autres…il n’y a pas de frontières, juste des gouvernements qui fonctionnent différemment », nous écrit Claire Allard dans un mail où elle nous envoie les belles photos qui illustrent cet article. On conclura par son PS : « J’écoute l’occupation de l’Odéon à l’instant et leur slogan accroché sous la fenêtre me parle particulièrement : « On ne joue plus, on lutte » ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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