Bien qu’à l’arrêt, les théâtres privés doivent continuer d’assumer leurs frais fixes. Et se préparer à une relance dont les modalités sont encore inconnues. Un fonds d’urgence a été mis en place par le ministère de la Culture pour les y aider. Suffira-t-il ? Le doute est plus que permis.
Pour les théâtres privés, la priorité première a été d’assurer la sécurité financière de leurs salariés en période de fermeture. Grâce au dispositif de chômage partiel mis en place par l’État, la chose est aujourd’hui faite. Pas d’arrêt toutefois pour les directeurs des lieux et leurs équipes administratives qui, malgré une absence totale de visibilité, travaillent à différents scénarios d’une reprise qu’ils espèrent la plus rapide possible. Car même fermés, ils continuent de payer leurs charges à des bailleurs qui, selon la directrice de La Reine Blanche et des Déchargeurs Elisabeth Bouchaud, « ne font pas dans la solidarité ».
Vertus et limites du fonds d’urgence
La profession se mobilise pour faire face à cette nouvelle urgence. Membre du Syndicat National du Théâtre Privé (SNDTP) et du Syndicat National des Entrepreneurs du Spectacle (SNES) dont elle fait partie du Comité de Direction, Elisabeth Bouchaud témoigne de ce mouvement collectif indispensable pour faire face à une situation inédite. Laquelle nécessite des solutions à son image, telles que le Fonds d’Urgence pour le spectacle vivant privé (FUSV) de 5 millions d’euros qui vient d’être mis en place. Alimenté par le ministère, la Ville de Paris et l’Adami – il est possible que des organismes de gestion collective et des conseils régionaux le nourrissent aussi par la suite –, ce fonds devrait aider les structures privées à assumer leurs loyers et autres frais fixes. Nombreux sont toutefois les directeurs de lieux qui craignent que ce soutien soit insuffisant. Créée pour l’occasion, l’association des Théâtres Privés de Région (TPR) redoute par exemple que les aides soient distribuées de manière inéquitable entre Paris et les régions. Elle entend veiller à une répartition équitable.
À la tête du Théâtre de l’œuvre et du Lucernaire, Benoît Lavigne compte davantage sur ses partenaires privés habituels – le groupe Vivendi dans un cas, les éditions L’Harmattan dans l’autre – pour faire face aux difficultés à venir. « Les loyers parisiens sont extrêmement élevés. Le fonds mis en place ne suffira certainement pas à aider tous les lieux écrasés par leurs charges. Leur annulation serait la seule véritable garantie pour nous tous de redémarrer dans les meilleures conditions possibles », dit-il. À cette heure, il envisage d’avoir recours à un prêt. « Ce qui ne fait que retarder le problème ». Laurent Sroussi, directeur du Théâtre de Belleville, affiche quant à lui un grand scepticisme quant aux aides proposées par l’État. « Un fonds de soutien ? Pas entendu parler. Nous avons la chance à Belleville d’avoir un loyer assez raisonnable. S’il le faut, nous pouvons tenir jusqu’à la fin de l’année. Même si nous en sortirons bien sûr très fragilisés ».
Une relance incertaine
En cas d’autorisation après le 15 juillet, les trois directeurs de lieux envisagent de rouvrir leurs portes. Laurent Sroussi pourrait éventuellement programmer un spectacle qu’il a coproduit. Elisabeth Bouchaud envisage quant à elle soit de reprendre des pièces annulées plus tôt à La Reine Blanche, soit d’accueillir des compagnies qui auraient dû jouer dans le Off du Festival d’Avignon. Idem pour Benoît Lavigne au Théâtre de l’Œuvre, tandis que le Lucernaire pourrait reprendre le cours de sa programmation. Tout cela bien sûr si les conditions de réouverture le permettent. « Il va de soi qu’on ne pourra pas ouvrir pour 30 spectateurs », dit Laurent Sroussi, dont la jauge est de 96 places. Même en cas de distances de sécurité à respecter, Elisabeth Bouchaud voudrait de son côté ouvrir la grande salle de La Reine Blanche, de 160 places : « cela nous permettrait de retrouver le public et les artistes, de dire que l’on est toujours là. À moins que nous ne soyons aidés pour assumer le manque à gagner, il ne faudrait pas toutefois que la situation dure trop longtemps ».
Pour s’organiser, tous attendent de connaître les mesures sanitaires qui devront être appliquées. Non sans exprimer de fortes inquiétudes quant à la suite. « En tant que producteurs de spectacles, la vente de dates est pour nous une source importante de revenus. Or dans le contexte, je ne vois pas comment nous allons pouvoir vendre quoi que ce soit la saison prochaine dans ce contexte », s’inquiète la directrice de La Reine Blanche, dont le théâtre avignonnais devait jouer un rôle important en la matière. Pour soutenir les compagnies et producteurs privés, elle appelle de ses vœux une aide à la diffusion, aussi bien pour les théâtres privés que publics. Co-directeur du 11 avec Fida Mohissen, Laurent Sroussi accuse lui aussi une « catastrophe économique, plus grande encore que pour le Théâtre de Belleville. À Avignon, tous les revenus sont concentrés en un mois ». La reprise ne se fera pas sans peine pour le théâtre privé. Ni sans joie.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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