Suite à l’interdiction de rassemblements de plus de 100 personnes, seule une poignée de lieux avaient poursuivi leur activité samedi soir. Face à l’accélération de la progression du coronarivus, le Premier ministre français Edouard Philippe a annoncé samedi la fermeture à compter de minuit des restaurants, des cafés, des cinémas, des discothèques et des autres établissements publics non essentiels, dont tous les théâtres. Reportage samedi soir, avant l’annonce du Premier Ministre.
« J’ai entendu dire qu’une compagnie, je ne sais plus où, a joué deux fois son spectacle au lieu d’une, devant cent personnes ». « Et tu as vu qu’en Hongrie, des spectateurs ont renoncé au remboursement de leurs billets en solidarité avec les artistes ! ». « Tu sais quels théâtres limitent leur jauge à 100 personne ? Je ne me vois pas rester tout le temps chez moi… ». Dans le hall du Grand Parquet le 13 mars au soir, avant la sortie de résidence de Supernova compagnie, l’échange d’informations sur les lieux encore ouverts après l’allocution du Premier Ministre pendant le Journal Télévisé de 13h va bon train. Encore sous le choc de cette annonce qui ralentit considérablement la scène culturelle du pays, les spectateurs venus nombreux – la salle était presque comble – évoquent les initiatives de tel ou tel lieu. On hésite entre une bise et un salut du pied, et on partage inquiétudes, débuts de solutions… Si les spectateurs entendent la nécessité des mesures de protection, le désir de voir la vie artistique se poursuivre est aussi forte.
Jouer jusqu’au bout
Épargnés pour le moment par l’interdiction de rassemblement, les lieux parisiens de moins de 100 places tels que le Grand Parquet, maison d’artistes du Théâtre Paris-Villette (TPV), ouvrent pour beaucoup leurs portes ce week-end. Quitte à réaliser quelques aménagements. Au TPV par exemple, Enterre-moi mon amour de Clea Petrolesi peut jouer normalement – la jauge de la petite salle est inférieure au seuil critique –, tandis que pour Toute nue d’Émilie Anna Maillet présenté dans la grande salle, les entrées ont dû être limitées. « Pour une représentation normale, nous aurions été 160 environ. Limiter la jauge à 100 est donc faisable pour nous, même si à terme, si la situation devait durer, cela nous mettrait en danger. L’équipe doit continuer à travailler comme en temps normal ; une chute de la billetterie sera compliquée à gérer ». Mais, pour Adrien de Van, le co-directeur du lieu avec Valérie Dassonville, la question ne se pose pas : sa mission est d’accueillir des artistes, de leur permettre de montrer leur travail, et il entend l’assumer jusqu’au bout.
Comme le Théâtre Paris-Villette, nombreux sont les lieux à petites jauges qui programment des artistes émergents et dits « intermédiaires ». Pour les directeurs qui décident de maintenir leur programmation, la fragilité de ces équipes est un argument central. « Pour elles plus encore que pour d’autres plus établies, il est indispensable de montrer leur travail, aussi bien au public qu’aux professionnels. Chaque représentation annulée est pour elles une chance en moins d’être programmées ailleurs, ce qui peut avoir un impact très fort sur leur existence ». Laurent Sroussi, directeur du Théâtre de Belleville, tient un discours similaire. La jauge de son lieu étant limité à 96 places, les mesures annoncées par Franck Riester ne l’ont pas plongé dans un abîme de doutes. Du moins pas concernant Hedda, Mon Olympe, J’aurais aimé savoir ce que ça fait d’être libre et Les Premiers, qui se jouent actuellement entre ses murs.
L’ouverture comme éthique
« Ouvrir tant qu’on le peut est moi pour moi une simple question d’éthique. Tout en respectant les mesures sanitaires prescrites, il me semble important de continuer à défendre l’art et la pensée. Épidémie ou pas, le repli sur soi est la porte ouverte à tous les populismes », exprime Laurent Sroussi. Affirmant ne pas enregistrer pour le moment de baisse particulière de la fréquentation, il promet de continuer à travailler aussi longtemps que le lui permettront les mesures de protection, dont les modalités viennent d’être clairement formulées par la Préfecture de police. Sur son site, on lit ainsi que « juridiquement, l’interdiction entrera en vigueur à compter de la publication au Journal Officiel d’un arrêté du ministre de la santé, probablement samedi 14 mars au matin. Elle est opposable à tous dès publication, il n’y a pas besoin d’un arrêté préfectoral pour qu’elle s’applique, et chaque exploitant/organisateur est seul responsable de son application ».
Elisabeth Bouchaud, directrice de La Reine Blanche et des Déchargeurs, fait aussi partie de ceux qui ne cèdent pas à la panique. La capacité des deux salles des Déchargeurs leur permet d’échapper à la fermeture. Idem pour la petite salle de la Reine Blanche. Quant à la grande, de 160 places, on lui réserve le même sort que celle du TPV : on en limite l’accès à 100 personnes. Ce qui, du fait des annulations multiples auquel le théâtre fait face depuis deux semaines environ – la fréquentation connaît selon Elisabeth Bouchaud une baisse de fréquentation de 30 à 40 % par rapport à un mois de mars normal – n’est pas extrêmement difficile. « Pour la semaine à venir, nous prévoyons même une baisse de 70 %. Les scolaires ne viennent plus, de nombreux groupes scientifiques annulent aussi… Nous ne pourrons pas tenir longtemps de cette façon ».
Préparer la suite
Certains lieux qui auraient pu ouvrir ont décidé de fermer. La Maison de la Poésie par exemple, qui possède une salle de 60 places, ou encore La Flèche. Il faut attendre de voir vers quelles solutions on s’achemine dans ces cas-là – annulation, report ? – et si des alternatives seront proposées. Adrien de Van y pense déjà pour sa part, dans le cas où les mesures viendraient à se durcir prochainement. « Si les fermetures venaient à durer, il faudra inventer d’autres manières de travailler. Organiser peut-être des représentations en appartement, des plateaux professionnels, d’autres manières de soutenir les équipes artistiques… Je ne sais pas encore, mais en tant que directeurs de lieux nous devons y penser », dit-il.
Elisabeth Bouchaud, pour qui « il n’y a rien de plus triste qu’un théâtre vide », dit elle aussi son désir de continuer à faire vivre son outil au cas où la France adopterait des mesures de confinement aussi sévères que l’Italie ou la Belgique. « Pour compenser un peu les annulations, nous pourrions inviter des compagnies en résidence. Par contre, la programmation de la saison prochaine étant déjà très avancée, un report risque d’être très compliqué ». D’ici là, l’optimisme est de mise…
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
L’inquiétude pour l’économie du spectacle est plus qu’entendable. Evoquer des questions « d »éthique » et de barrage « contre le populisme » est ridicule et d’une indécence sans nom. Il faudra dire à Mme Bouchaud qu’il y a des choses bien plus triste qu’un théâtre vide : des couloir d’hôpitaux saturés par exemple. J’ai honte pour ces gens.