Selon les prévisions des spécialistes, une pandémie mondiale frappera les habitants de la planète d’ici à 2025. Quelles décisions les autorités doivent-elles prendre dans une telle situation ? Comment s’y préparent-elles ? Que ferions-nous à leur place ? En plein épisode d’épidémie de coronavirus, le réel rattrape la fiction. VIRUS, spectacle conçu par Yan Duyvendak, artiste performeur et metteur en scène suisse, en collaboration avec le docteur Philippe Cano et les développeurs de jeu Théo Rivière et Corentin Lebrat du collectif Kaedama, propulse le spectateur dans la gestion d’une crise plus que jamais d’actualité. Crash test en juin aux Subsistances à Lyon et première française en octobre au FAB à Bordeaux. Interview avec Yan Duyvendak.
Vous avez lancé le projet VIRUS fin 2018, aviez-vous anticipé cette épidémie de coronavirus ?
Non, pas du tout. En revanche, il est statistiquement probable qu’on se retrouvera face à une pandémie de type H7N9, plus connue sous le nom de virus de la grippe aviaire, d’ici 2025. Ce virus est généralement transmis d’oiseau à oiseau et jusqu’à très récemment il n’avait pas été observé chez l’homme. Depuis 2013 on note quelques cas humains sporadiques en Chine. Tant qu’il passe d’un oiseau à l’autre, le virus H7N9 reste stable et inoffensif pour l’homme. Pour parvenir à s’accrocher à un poumon humain, il doit muter. Et là, il devient hautement dangereux. Statistiquement, cela devrait se produire dans un futur proche.
Ce serait plus grave que le coronavirus ?
Je ne suis pas spécialiste. Mais, selon ce que nous dit le Docteur Philippe Cano, le coronavirus n’est pour l’instant qu’une épidémie qui se transmet assez faiblement et, surtout, qui a une létalité assez faible. Dans un cas de pandémie H7N9, il est prévu que 39% des gens infectés meurent. C’est énorme. Aujourd’hui, le coronavirus reste une épidémie faiblement mortelle et plutôt sous contrôle en ce qui concerne les pays occidentaux. Elle est plus menaçante pour des pays moins développés, notamment d’Afrique, continent qui a beaucoup d’échanges avec la Chine et peu de moyens pour faire face à ce genre de crise.
« Soit la société se rétablit, soit elle s’effondre dans le chaos »
Comment vous est venue l’idée de VIRUS ?
Elle m’est venue lorsque Philippe Cano m’a parlé de ses simulations. Il a participé à un projet financé par l’Union Européenne pour préparer les gouvernements d’Afrique de l’Ouest à la survenue d’un épisode de pandémie. Le virus qu’il avait utilisé pour les simulations était d’ailleurs un coronavirus muté de type MERS-COV. Il m’a expliqué que les gouvernements sont souvent peu ou mal préparés. Que gérer ce genre de situation ne s’apprend pas à l’école. Que souvent, les politiques réagissent intuitivement, avec leurs tripes, qu’ils sont portés par la peur, et que leurs réactions sont influencées par la pression médiatique, les fake-news et qu’ils en oublient parfois les éléments de planification existants. Ou bien ils s’accrochent au cahier des charges de leur fonction. Alors que c’est un moment où il faut penser contre soi, contre ce que l’on croit pertinent de faire. J’ai eu envie de faire quelque chose à partir de tout cela.
Comment en avez-vous fait un spectacle ?
J’ai envie que les spectacles de ma compagnie permettent de réfléchir aux systèmes dans lesquels nous vivons, aux structures qui régissent nos sociétés. Dans Please Continue Hamlet par exemple, des juges et des avocats font le véritable procès d’Hamlet et permettent ainsi d’appréhender les ressorts de la justice. Pour VIRUS, c’est un jeu de simulation dont la dramaturgie épouse celle d’une pandémie, avec un début, un pic et une descente. Il y a quatre phases lors desquelles les spectateurs-joueurs sont répartis en pôles (santé, sécurité, recherche, information…) et doivent prendre des décisions du type « est-ce qu’on ferme les frontières ? », « est-ce qu’on ferme les écoles ? »…etc. De leurs décisions dépend l’avenir de la société. A la fin, soit une société complexe, comme la nôtre, est rétablie. Soit elle s’effondre dans le chaos.
Ce sont des scénarios inventés ou réels ?
Pour concevoir ce spectacle, j’ai fait appel à deux développeurs de jeu professionnels, Théo Rivière et Corentin Lebrat du collectif Kaedama, qui travaillent en étroite collaboration avec Philippe Cano. Ce dernier adapte à chaque fois les scénarios selon le pays dans lequel on joue. Le jeu prend donc la forme de simulations auxquelles Philippe apporte une garantie scientifique. Pour que le projet fonctionne, il est indispensable que tout soit scientifiquement validé.
« Il n’y a pas forcément une bonne décision »
Avez-vous déjà testé le jeu ?
Oui. Nous avons fait des tests en sortie de résidence dans plusieurs pays dont la dernière en date à l’Arsenic à Lausanne. Ce qui est frappant, c’est que les participants quittent très facilement leur posture de départ, ils se prennent littéralement au jeu, et s’impliquent intensément dans les discussions et les multiples prises de décision. On a assisté à de belles engueulades. Il y a eu aussi d’étranges moments de panique. Et puis on a retrouvé les dilemmes entre le respect de son cahier des charges et la nécessité de s’écarter des règles fixées initialement. C’est assez passionnant.
Quel point de vue votre spectacle conduit à porter sur la situation actuelle ?
Une des choses que l’on apprend, je crois, c’est qu’il n’y a pas forcement une bonne décision : par effet domino, chaque décision crée des conséquences que l’on à du mal à anticiper. Le tout, c’est de prendre la moins pire, qui n’est pas toujours celle que l’on croit. Peut-être que cela jette une lumière plus compréhensive sur la gestion de la situation actuelle.
En quoi une telle forme de « spectacle » trouve-t-elle sa place dans les salles de spectacle vivant ?
Ce jeu est mis en scène, travaillé par une scénographie, des lumières et un environnement sonore. Je viens de la performance et travaille plus dans la présentation que dans la représentation. Ce qui est important, et peut-être ce qui est donc spectaculaire, c’est la manière dont les gens sont réellement affectés par ce qui se passe dans le jeu. Et partant, qu’à partir de là un empowerment puisse avoir lieu. Une autonomisation.
Propos recueillis par Eric Demey – www.sceneweb.fr
Please, Continue (Hamlet) le 29 février au Théâtre de Brétigny
VIRUS sera présenté pour la première fois en France lors d’une sortie de résidence le 11 juin aux Subsistances à Lyon
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