Nommé à la tête du Tanztheater de Wuppertal, le chorégraphe français va devoir réinventer une compagnie et faire avec l’héritage de sa fondatrice, Pina Bausch
Surprise à première vue, la nomination de Boris Charmatz à la tête du Tanztheater de Wuppertal est pourtant la suite logique du désir qu’a le chorégraphe d’inventer une Europe de la culture. Il l’avoue lui-même, Charmatz n’a pas de lien direct avec Pina Bausch. « Je vais avoir besoin de temps pour me plonger dans ce répertoire et sentir comment agir. J’ai le désir de faire des « restaurations » légères, comme on dit en peinture, en posant juste un regard un peu différent sur un répertoire qui ne doit pas trop bouger, mais juste vibrer avec le public d’aujourd’hui » résume le créateur.
Dans son discours, prononcé ce jeudi 21 octobre, Boris explique sa position : « Il nous faut plonger dans le 21ème siècle. Je viens ici pour le 21ème siècle. Je viens pour emmener l’œuvre de Pina avec nous dans une aventure du 21ème siècle. Ce sera une aventure. Je viens pour qu’on trouve ensemble un nouveau terrain pour la compagnie ». Il devra donc faire avec un répertoire célébré dans le monde entier, des anciens de la troupe –certains choisis par Pina-, de nouveaux interprètes. Et des envies. « Pour accueillir vraiment une nouvelle vision pour la compagnie, la ville, pour l’art… il fallait aussi accepter d’abandonner quelque chose. Que bien sûr les œuvres de Pina allaient continuer à faire partie du répertoire de la compagnie, mais qu’il fallait aussi accorder une place première au présent et au futur, si on voulait se donner une chance de faire des gestes qui comptent » résume Boris Charmatz.
Depuis la disparition de Pina Bausch en 2009, le Tanztheater de Wuppertal a connu une poignée de directeurs. Du tandem Dominique Mercy/Robert Sturm à Lutz Förster, de Adolphe Binder à Bettina Wagner-Bergelt. Binder aura essayé d’imposer une nouvelle vision à la compagnie allemande, non sans mal. Et sera remerciée dans la foulée. Elle aura eu le temps de commander une pièce superbe pour le Tanztheater à Dimitris Papaioannou, Since she. Ce dernier nous confiait il y a peu les difficultés rencontrées sur place, le peu de soutien de certains membres du ballet par exemple. Autant dire que le défi, pour Charmatz, est immense.
Il sera en poste 8 ans, de quoi repenser les fondamentaux. « Je viens pour m’associer à un élan collectif dont nous avons tous besoin aujourd’hui. Je suis un danseur un peu seul là tout de suite, mais c’est toute la compagnie qui devrait être là sur scène, au-delà d’un nouveau directeur, il y a surtout une nouvelle direction artistique qui voudrait entraîner tous les corps, ceux des danseurs de l’ensemble, mais aussi ceux des habitants de Wuppertal et du Land Nordrhein-Westfalen, et bien au-delà. J’aimerais même entraîner dans notre ronde les habitants français des Hauts-de-France, j’ai un désir de coopération franco-allemande…. Je voudrais même que nous dansions avec les absents, les morts, les disparus : avec et pour Pina Bausch, et aussi avec et pour toute la modernité allemande et européenne, les Valeska Gert, les Fassbinder, les Raimund Hoghe, les Else Lasker Schüler » a déclaré le français dans une visio-conférence en direct de Wuppertal.
Il a, pour lui, des relations avec quelques-unes des grandes institutions de la danse, du Ballet de l’Opéra de Lyon ou de Paris à la Tate de Londres ou le Moma de New York. Et si le Pina Bausch Zentrum doit ouvrir d’ici 2027, Charmatz rêve de plus. « Vous voyez la Bismarckturm, aujourd’hui c’est un parking, dans mes rêves, cela pourrait être notre studio, ce serait un nouvel espace vert gagné sur le bitume, et l’un de nos « terrains de jeu ». De nombreuses compagnies, en Europe (Maurice Béjart), aux Etats-Unis (Merce Cunningham ou Trisha Brown), ont essayé de (sur)vivre à la disparition de leur créateur ou de penser l’après. Certaines ont jeté l’éponge. Avec l’arrivée de Boris Charmatz, le Tanztheater de Wuppertal fait le pari du futur immédiat.
Philippe Noisette – www.sceneweb.fr
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