Festival exclusivement consacré à des spectacles en cours de création, la 2e édition de La Ruche organisé par le TnBA a confirmé l’intérêt de sa formule. Entre artistes émergents et grande famille aquitaine, le format work in progress offre l’occasion de bâtir avec le spectateur un autre rapport aux spectacles.
Week-end étouffant à Bordeaux coincé sous un dôme de chaleur, il va malheureusement falloir s’adapter à ces nouveaux phénomènes météo… Catherine Marnas, directrice du TnBA (Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine) craint que les spectateurs ne filent se rafraîchir vers l’océan tout proche. La Ruche contre bassin d’Arcachon, qui va l’emporter ? Le festival initié par le TnBA fête sa deuxième édition, sa première publique, la précédente était réservée aux pros. Son principe est novateur. Ne montrer que des étapes de travail, histoire de donner une visibilité à toute cette activité de création qui fait le quotidien du lieu mais que les spectateurs ne voient pas. Les CDN ne sont pas que des lieux de diffusion. D’où un titre qui évoque ce travail du quotidien: La Ruche. Une formule à dix euros la journée, pour sept spectacles, possibles laisse l’espoir que les gradins ne soient pas désertés pour les plages.
Quel intérêt de bâtir un festival à partir de formes inachevées ? Pour les artistes, il est évident. Poser une date, une étape dans le processus de création, rencontrer le public et avoir des retours sur les orientations à donner au travail, trouver des partenaires comme l’exprime avec une transparence touchante le MAR collectif à l’issue de la présentation de son Motel. Et aussi, ce qui n’est pas rien, pouvoir travailler en se payant des répétitions, ce qui change du quotidien des artistes de théâtre quand ils ne sont pas déjà produits et soutenus.
« On a aussi envie d’avoir le retour des gens qu’on a côtoyés pendant trois ans » explique Julie Papin qui porte seule un Brisby (blasphème !) bien barré sur un texte de Théophile Dubus. Il faut dire qu’à l’occasion de ce festival, la maison accompagne pas mal d’anciens élèves de l’estba (Ecole Supérieure de Théâtre Bordeaux Aquitaine), continuant pour reprendre les termes de Catherine Marmas de leur proposer « un abri ». Le MAR collectif et son Motel qui revisite Psychose d’Hitchcock, Jules Sagot qui met en scène un spectacle touchant avec Luis, son frère adoptif (Les Frères Sagot) et Julie Papin, Pénépleine enceinte du Messie, sont sortis ces dernières années de l’école bordelaise.
Les autres artistes invités font également partie de la famille. Claire Théodoly, qui a travaillé avec Catherine Marmas sur Sainte Jeanne des abattoirs montre un Horace d’Heiner Müller sobre, beau , taillé pour être tranchant. Sandrine Hutinet, qui intervient à l’estba, monte un texte de Kai Hensel, A quel type de drogue je corresponds ? Une invitation dont on se demande jusqu’au bout, et c’est sa grande force, s’il nous incite sérieusement ou ironiquement à nous tourner vers les psychotropes. Annabelle Chambon et Cédric Charron, deux anciens de chez Jan Fabre, basés à Libourne, dévoilent eux une performance pétaradante, mélange de danse d’épis de maïs en sabots et d’électro survoltée, avec Pop Corn protocole.
Si la ruche vibrionne de l’envol de jeunes abeilles, d’autres plus confirmés viennent donc aussi y faire leur miel. Catherine Marnas même en profite pour tester son projet autour du Rouge et le noir de Stendhal où l’instable voix du narrateur laisse entendre à la fois l’ironie et la tendresse de l’auteur pour ses personnages. Et si l’intérêt de l’ensemble des propositions pour les artistes est évident, le public n’est pas en reste. Des formes à l’état d’avancement très disparate, des esthétiques très différentes, des spectacles courts où résonne les tâtonnements des artistes, à n’en pas douter, La Ruche enfourche le tigre et déplace le rapport du spectateur à l’œuvre. Loin de la solennité de la représentation, dans une proximité qui désacralise le geste créateur et en restitue la fondamentale fragilité, La Ruche est une initiative qui a distillé de bonnes ondes. La preuve : si les plages d’Aquitaine étaient bondées, les salles du TnBA, elles aussi, affichaient complet.
Eric Demey – www.sceneweb.fr
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