Rendez-vous international de la création jeune public, le festival Momix de Kingersheim offre aux enfants de tous âges des récits de notre monde. Y compris dans ce qu’il a de plus tragique. Entre autres sujets, sa 28ème édition (1er-10 février 2019) aborde à travers plusieurs spectacles la notion d’exil. De migration.
Pour dire le passage à l’âge adulte, ses beautés et ses périls, nombreux sont les contes qui font le récit de voyages. De déracinements. Ulysses miniatures, leurs héros souvent solitaires traversent des forêts, arpentent des chemins pleins de menaces qui n’ont jamais perdu de leur force symbolique. Et qui, aujourd’hui, peuvent être lus comme des métaphores d’une des grandes tragédies de l’époque : celle des migrants. Des réfugiés de partout. Qu’elles se consacrent ou non exclusivement au jeune public, nombreuses sont les compagnies de théâtre à s’intéresser à ce croisement entre réel et fiction. Plusieurs d’entre elles ont fait escale à Kingersheim, commune de la banlieue de Mulhouse dans le Haut-Rhin, qui pour la 28ème année se fait lors du festival Momix carrefour international de la création jeune public. Pour le grand plaisir des principaux concernés et des adultes qui ont su « garder leur âme de môme », selon les termes du directeur Philippe Schlienger dont l’équipe et lui-même excellent en la matière.
Le voyage commence avec Vilain ! de la compagnie française Théâtre à cru. Une adaptation très libre du Vilain petit canard d’Andersen, influencée par la pensée de Boris Cyrulnik, neuropsychiatre spécialiste de l’enfance, et du pionnier de l’antipsychiatrie Ronald David Laing. Une performance survoltée, au contraire du très doux, bien qu’amer, Petit héros de la compagnie italienne Teatro del Piccione, où la comédienne Simona Gambaro interprète seule son propre conte inspiré du Petit Poucet. Pour aborder le même sujet, les Belges du Théâtre des 4 mains (La guerre des buissons) et la finlandaise Cie Livsmedlet (Terres invisibles) s’éloignent quant à eux des histoires connues. Les premiers en adaptant pour marionnettes un roman jeunesse, les autres en s’inventant un langage au croisement de la danse, de la vidéo et du théâtre d’objet pour se livrer à une singulière cartographie intime de l’exil.
À Momix, l’éveil à la sensibilité sur les questions liées aux migrations se fait donc sous des formes très diverses. À l’image de l’ensemble de la programmation du festival, dont la quarantaine de spectacles programmés dans différents lieux de Kingersheim témoigne bien de la grande diversité de la création jeune public. Avec aussi, depuis une dizaine d’années, plusieurs pièces destinées à un public adulte – présenté à 22h, Terres invisibles s’adresse plutôt aux plus grands –, qui permet un beau mélange des générations. Bien ancré sur son territoire et au-delà grâce à de nombreuses structures partenaires, toujours en quête de davantage de dialogues et partenariats avec ses différents acteurs, Momix ne laisse personne de côté. Qu’elles expérimentent des formes originales ou se consacrent à des esthétiques plus classiques, les quatre compagnies citées plus tôt cherchent de manière évidente à concilier plaisir ludique et enseignement. Un équilibre périlleux, que chacune tente d’atteindre à sa manière.
Nous avons déjà parlé ici de de la Cie Livsmedlet, dont les maquettes et les petits hommes de plastique, naïfs, contrastent avec le tragique du sujet. Et le soulignent. En créant ce qu’ils appellent une « zone d’incertitude sur la nature exacte des choses » très librement inspirée des Villes invisibles d’Italo Calvino, Sandrina Lindgren et Ishmael Falke invitent à un voyage intimiste dont les seules paroles sont dites dans une langue imaginaire, qui témoigne d’une grande confiance dans le spectateur. Nulle aridité, nulle violence sans une part de réjouissance à Momix. Sans une part de fête.
Remplaçant le fameux canard d’Andersen par une jeune fille d’aujourd’hui, victime d’injustices d’aujourd’hui, Alexis Armengol installe lui aussi son terrain de jeu hors des sentiers battus. Fidèle à son écriture du fragment, à sa manière d’orchestrer la rencontre entre texte, musique, corps, chant et vidéo pour aboutir à une forme qu’il qualifie de « concert » de théâtre, il met en scène dans Vilain ! la comédienne Nelly Pulicani, accompagnée de la plasticienne Shih Han Shaw et du musicien Romain Tiriakian. Imposant, son dispositif sollicite tous les sens de son jeune public. Grâce à des micros suspendus au plafond, Nelly Pulicani invite sur scène une foule menaçante, tandis qu’on joue de la musique ou que l’on dessine sur scène. D’où une forme très hybride et une grande rapidité qui placent Vilain ! à la lisière de la performance, que la comédienne assume avec vigueur. Au détriment de la profondeur de son personnage, dont les particularités se limitent à une différence jamais creusée, et plus largement du sens. Très séduisante, mais parfois un peu gratuite, l’inventivité formelle a en effet tendance à empiéter sur le propos du spectacle.
La guerre des buissons du Théâtre des 4 mains et Petits héros du Teatro del Piccione complètent habilement ces deux propositions assez pointues sur le plan formel. Autour d’une marionnette à taille humaine, la compagnie belge raconte l’exil du personnage central du roman jeunesse Quand c’était la guerre et que je ne comprenais pas le monde, « une petite fille d’ici ou de là-bas, peu importe ». Avec un castelet où de plus petites marionnettes jouent les scènes du passé, cette pièce formule avec clarté et intelligence ce qui est seulement montré dans Terres invisibles : les difficultés rencontrées sur le chemin de l’exil. Les doutes. L’inventivité, ici, se loge dans les détails. Dans les multiples petites trouvailles des marionnettistes pour faire vivre leur aventure, qui sont autant de preuves de leur tendresse pour les personnages de leur fable, que pour les enfants à qui ils s’adressent. Tendresse au centre aussi de Petits héros, qui implique grâce à un dispositif quadrifrontal les jeunes spectateurs dans un touchant rituel qui permet d’aborder les notions d’hospitalité sans didactisme. Avec une délicatesse qui ressemble à Momix.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Festival Momix, du 1er au 10 février 2019. www.momix.org
Petits héros, du 5 au 10 février 2019 au Théâtre Dunois (Paris).
Vilain !, Du 6 au 28 juillet 2019 au 11-Gilgamesh-Belleville (Festival d’Avignon)
La guerre des buissons, Du 23 au 25 avril 2019 à Grande Synthe (59), les 26 et 27 avril à Saint-Martin-Boulognes (62), le 28 avril à Merville (59), du 22 au 24 mai à Coulaines (72), le 28 mai au Festival Mom’en’mai à Grenay (62), les 6 et 7 juin en Corrèze. Egalement en tournée en Belgique.
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