Le festival Actoral 2022 a débuté au Mucem à Marseille avec une série de performances dont Amore Mio, le 55e opus des Pièces distinguées que signe La Ribot toujours inspirée par la porosité entre les arts chorégraphiques et plastiques. L’artiste met en scène un duo d’interprètes qui se ripoline avec hargne et jouissance.
Pour sa première française, Amore Mio s’installe sur les hauteurs de Marseille, au Fort Saint-Jean qui surplombe la ville. D’un côté des remparts, la mer étale sous le soleil couchant, et de l’autre, la cathédrale de la Major en majesté, offrent une imprenable vue. De la manière la plus simple voire précaire qu’il soit, la pièce occupe une simple bâche de chantier déposée à même le sol, et autour de laquelle s’agglutinent librement les spectateurs.
Entamées au début des années 1990, les Pièces distinguées ont depuis leur origine pour particularités d’être des formes courtes et hybrides, volontiers décalées et délurées, facilement transportables et modulables, pouvant se jouer de façon autonome, comme c’est le cas ici, ou à l’occasion de séries. Chacune d’entre elles porte un numéro. Initiée par Soccoro ! Gloria !, un court strip-tease humoristique, cette grande œuvre hétéroclite et perpétuellement évolutive a pour ambition d’atteindre le nombre de 100 pièces. Si La Ribot a souvent performé seule, elle dirige ici un couple formé par Piera Bellato et Juan Loriente. Ils apparaissent au loin comme des promeneurs sous une lumière déclinante et irisée de fin de journée ; ils attirent tous les regards, impeccablement vêtus de blanc, avec une touche bienvenue d’excentricité.
Figure majeure de la danse plasticienne, La Ribot s’est toujours amusée à défier les disciplinarités et notamment en faisant dialoguer les arts visuels et la danse qu’elle est d’ailleurs une des premières chorégraphes à avoir fait entrer dans les galeries et les musées. Amore Mio met en abyme, et au cœur même de son propos, l’art et le geste créateur. D’abord en commentant (même de manière elliptique) l’architecture du lieu dans lequel elle se produit ; ensuite, en mettant en scène de façon originale la rencontre d’un sculpteur et d’une statue qui prend miraculeusement vie. Dotée d’un prolixe langage aux paroles plus ou moins confuses, l’interprète féminine prend des poses statuaires avec une drôle d’outrance ironique. Corps sens dessus dessous, elle déclame et disserte sur la beauté et l’immortalité tandis que son Pygmalion, muni d’un pot de peinture et d’un gros pinceau, la barbouille à loisir. A coup secs et nerveux, il passe et repasse les couches d’un blanc laiteux renvoyant à la couleur de la pierre ou du marbre. La peinture se déverse et se répand aussi bien sur les vêtements que sur la peau de sa partenaire tandis que lui-même s’en voit partiellement maculé.
La belle complicité du duo et son total engagement physique donnent à contempler un jeu qui peut parfois vriller et voisiner avec l’étreinte ou le rapport de force. Assurément ludique, la performance a sans nul doute aussi une vocation critique sur l’utilisation et la manipulation des corps dans l’art. Il y a une évidente dimension burlesque dans ce numéro de clowns blancs empreint aussi de brutalité et d’une forte organicité. Enfin, les deux silhouettes enfarinées s’effacent sans laisser de trace sous les yeux d’un public à la fois amusé et intrigué.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Pièce distinguée N°55 – Amore Mio
Direction et concept La Ribot
Danse et chorégraphie créées avec Piera Bellato et Juan Loriente
Dramaturgie Jaime Conde Salazar
Costumes La Ribot Réalisation des costumes et des accessoires Coralie Chauvin
Premières en France
En coréalisation avec Le MUCEM
Festival Actoral
ven 09 sep 2022 — 19:15
sam 10 sep 2022 — 19:15
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !