Pour assumer sa reconnaissance en cours comme art à part entière, le cirque doit poursuivre son développement artistique. Afin de pallier au manque actuel de lieux d’entraînement, de création aussi bien que de diffusion, plusieurs structures se dotent de nouveaux équipements. D’autres s’installent dans des espaces existants, pour créer un cirque de proximité.
C’est la 4ème édition de La Nuit du Cirque, organisée du 11 au 13 novembre 2022 par l’association Territoires de Cirque sur l’ensemble du territoire et à l’international, qui nous met sur la piste du sujet. À cette occasion en effet, Le Plongeoir – Cité du Cirque, Pôle Cirque Le Mans, inaugure un nouveau chapiteau permanent. Ce qu’a fait aussi en mai 2021 le Sirque, Pôle Cirque de Nexon. À ce moment-là, nous avons aussi que La Cascade – Pôle National Cirque d’Alba-La-Romaine, vient d’ouvrir un nouveau lieu d’entraînement, et que l’association Circusnext, programme européen d’accompagnement à la création et à la diffusion à des auteurs de cirque contemporain émergents, s’installe dans la Ferme Montsouris à Paris. Nous formulons alors l’hypothèse d’un mouvement de création de nouveaux lieux pour le nouveau cirque.
De l’entraînement à la diffusion, des besoins urgents
Nos discussions avec nos premiers interlocuteurs, les directeurs des trois structures citées, nous permettent très vite de compléter notre liste. Les lieux dont on nous parle sont de fonctions et d’envergures très diverses, à l’image d’une discipline qui poursuit sa structuration depuis la création du label Pôle National Cirque en 2010, étape majeure mais non suffisante pour sa reconnaissance comme art à part entière. Nous apprenons en effet qu’après des années de recherche, la Coopérative De Rue et De Cirque – 2r2c, vient d’obtenir à Paris le lieu qu’elle appelait depuis de nombreuses années de ses vœux. Arrive aussi très vite à nos oreilles fureteuses la nouvelle de l’installation d’AY-ROOP, Scène de territoire pour les arts de la piste, sur l’ancien campement de la compagnie Dromesko à Saint-Jacques-de-la-Lande (35), ainsi que le projet porté par la Cie MPTA et l’École de Cirque de Lyon d’une Cité Internationale des Arts du Cirque à Vénissieux (69). Nous entendons encore parler du travail de Chloé Moglia dans le village breton de Trédion (56).
C’est désormais certain, la géographie du cirque se transforme. Des lieux, des démarches nouvelles viennent enrichir le maillage existant, différent dans chaque région mais présentant partout bien des caractéristiques communes, surtout en matière de manques. Lesquels, selon Alain Raynaud, directeur de La Cascade, concernent d’abord l’entraînement. « Longtemps, l’institution n’a pas prêté attention à cette question, alors que toute la profession repose là-dessus. Sans un entraînement quotidien, il n’y a pas de cirque. Les choses, heureusement, commencent à changer », dit-il. C’est en effet grâce aux tutelles locales que La Cascade a pu se doter d’un espace dédié à l’entraînement. Ouvert le 17 octobre dernier « dans une ancienne chapelle aménagée avec l’aide d’architectes, qui ont su préserver toute la poésie du lieu tout en l’équipant aux mieux – on peut tout y faire en matière de cirque, sauf du grand volant », ce lieu se veut complémentaire aux autres espaces du Pôle Cirque. « Pour nous comme pour l’ensemble de la filière, il s’agit d’accompagner au mieux tous les moments de la vie de l’artiste, depuis l’école amateure jusqu’à la vie professionnelle ».
Les Pôles Cirque en action
Pour Alain Raynaud comme pour beaucoup de nos interlocuteurs, la scène conventionnée La Grainerie à Toulouse constitue un modèle en matière de richesse et de diversité d’équipements : depuis l’entraînement jusqu’à la diffusion, le lieu permet aux artistes de cirque de trouver les ressources dont ils ont besoin. « Avec La Grainerie et d’autres lieux, nous avons réfléchi ensemble aux évolutions nécessaires à notre secteur, dont les besoins ont énormément changé en 35 ans d’existence », explique Alain Raynaud. Lié à la structuration et à la reconnaissance de la discipline, la multiplication du nombre de compagnies pose des questions que les seuls 13 Pôles Nationaux Cirque ne peuvent résoudre. Ce qui ne les empêche pas de s’y atteler, comme le fait La Cascade. Comme l’a fait aussi Le Sirque avec la construction de son Vaisseau.
On peut aussi inscrire aux côtés de ces démarches celle du Plongeoir : « soutenue par la Ville du Mans qui en a assuré la maîtrise d’ouvrage, la construction de notre nouveau chapiteau s’inscrit dans le cadre d’un projet de labellisation que nous menons depuis plusieurs années. Cet équipement conçu par les architectes Christophe Theilmann et Laurie Bouzon répond aux critères que doivent remplir les Pôles Cirque en matière de création et de diffusion. Ses 1000 m2 fourniront aux artistes professionnels et amateurs – un espace, complémentaire à celui de la Cité du Cirque dédiée à la pratique amateure, leur sera dédié – l’outil qui manquait sur le territoire », explique le directeur Richard Fournier. Adapté au circulaire aussi bien qu’au frontal, cet équipement répond aussi à l’une des grandes préoccupations du milieu : la défense de l’écriture circulaire, qui figure parmi les fondamentaux du cirque. Un article écrit par Julie Bordenave en 2008 pour Territoires de cirque témoigne de l’ancienneté de ce mouvement, lié à la structuration de la discipline, qui influence les esthétiques autant que les modes de vie des artistes.
Une nouvelle décentralisation ?
Comme on l’a vu à Toulouse avec la création de La Grainerie, l’ouverture de nouveaux équipements pour le cirque transforme la géographie de la discipline. Laquelle ne cesse donc de bouger, et promet de continuer à varier encore longtemps. L’attente de grands équipements crée bien des enthousiasmes dans le milieu. La Cité internationale des Arts du Cirque – le nom est provisoire – à Vénissieux, sur laquelle travaillent depuis dix ans la Cie MPTA de Mathurin Bolze et l’École de Cirque de Lyon est sans doute celui qui suscite le plus de projections parmi les circassiens. Tel qu’elle a été conçue, cette Cité se veut selon Mathurin Bolze « un lieu filière pour le cirque. Il s’inscrira dans le réseau des Pôles Cirque, tout en étant davantage doté qu’eux, qui sont les parents pauvres du spectacle vivant. Pour poursuivre son développement, notre secteur a vraiment besoin de structures pareilles, susceptibles de faire évoluer le regard des pouvoirs publics », exprime le futur de directeur de la structure qui devrait ouvrir en 2027.
Pour l’heure, l’artiste et ses partenaires sont suspendus à la décision de la Région Rhône-Alpes : si cette tutelle venait à refuser son soutien au projet, l’ampleur de celui-ci devrait être revue à la baisse. « Ce qui serait fort dommage, aussi bien sur le plan national et international que local, car notre région compte de très nombreuses compagnies de cirque ». Le festival utoPistes porté par la Cie MPTA, dont la septième édition aura lieu du 23 mai au 18 juin 2023, est l’un des facteurs d’attractivité de la région lyonnaise pour les artistes de cirque. D’autres territoires rencontrent un succès croissant auprès de ces derniers. Surtout depuis le Covid qui, selon Géraldine Werner, codirectrice d’AY-ROOP avec Olivier Daco, « a contribué à la transformation déjà en cours des pratiques des circassiens, notamment à leur installation dans de nouvelles régions, où beaucoup développent leurs propres initiatives. La Bretagne, où nous sommes basés, est en cela très dynamique ».
Des cirques de proximité
En préparant pour 2024 son installation sur le campement Dromesko, qui est l’un des trois sites cd’intérêt communautaire de la métropole, AY-ROOP participe à cette évolution des terres de cirque, vers semble-t-il un modèle moins centralisé qu’il ne l’a longtemps été. Si des villes comme Auch et Châlons-en-Champagne – du fait de son festival dans le premier cas, et de la présence du CNAC dans le deuxième – conservent une certaine force de séduction sur les compagnies, beaucoup d’entre elles font aujourd’hui le choix d’implantations plus excentrées de ces pôles historiques. On peut y voir un désir de rapprocher le cirque du quotidien, que l’on trouve d’ailleurs dans toutes les structures dont nous avons interrogé les directeurs. AY-ROOP, par exemple, se veut sur son futur campement « autant fabrique artistique que de lien social ». Alain Raynaud voit quant à lui la nouvelle salle d’entraînement de La Cascade comme « un espace de brassage, qui sera rendu possible par un lieu de convivialité. Équipes amateures et professionnelles pourront se rencontrer, et rencontrer aussi autrement le public ».
Les nouveaux lieux parisiens ne sont pas en reste en matière de quête de convivialité, de relation intime au territoire environnant. D’autant plus sans doute que, comme le remarque la directrice de Circusnext Sabrina Abiad, « le cirque manque cruellement de lieux à Paris, où il est difficile de trouver des espaces suffisamment vastes pour répondre aux besoins des artistes de cirque ». L’installation à la Ferme Montsouris de Circusnext, choisi en 2019 par la Ville de Paris pour exploiter ce lieu, est en cela importante pour le paysage circassien. De même que l’ouverture très prochaine du lieu de création de 2r2c dans la rue Watt, située dans le 13ème arrondissement où la structure a depuis longtemps son ancrage. Dans les deux cas, des temps et des espaces sont prévus pour la rencontre des habitants avec des processus de création. « Il est primordial pour nous que les différents types de résidences que nous allons organiser dans ce lieu soient ouvertes sur un territoire que nous connaissons bien. Ce nouveau viendra ainsi en complémentarité de ce que nous faisons déjà au Village de Cirque, dans l’espace public ainsi qu’avec des lieux partenaires », disent le directeur de 2r2c Rémi Bovis et sa secrétaire générale Marie Chapoullié.
Du lieu au « milieu »
Cette idée de maillage excède largement 2r2c. Chez tous nos interlocuteurs, la nécessité d’inscrire son nouvel équipement dans un paysage local d’offres et de besoin est très sensible. Géraldine Werner d’AY-ROOP va jusqu’à parler d’écosystème, construit selon les principes de la « saisonnalité du cirque ». « Au printemps et en été, nous présenterons des spectacles chez nous. L’automne et l’hiver seront davantage consacrés à la résidence, avec quelques temps de programmation chez nos partenaires, avec qui nous tenons à continuer de travailler », développe Géraldine Werner. Entretenir des relations avec des structures locales est aussi pour AY-ROOP une manière de défendre les pratiques éco-responsables dont son équipe a fait l’un de ses grands principes de fonctionnement. En mutualisant ses forces avec des complices locaux, la structure peut notamment « organiser des tournées dans la région et défendre au mieux les grandes formes et les écritures circulaires qui ont beaucoup souffert du Covid ». AY-ROOP, comme les autres structures dont il est question ici, a beau avoir un lieu, elle pense en termes de « milieu ».
Parmi les artistes qui, las de dépendre d’institutions où ils ne sont jamais certains d’avoir le temps et les moyens de travail suffisants, décident de développer eux-mêmes leurs outils de création voire de diffusion, Chloé Moglia va plus loin encore dans sa pensée du « milieu » avec sa compagnie Rhizome. Car elle n’a pas de lieu à proprement parler : depuis 2020, elle investit des lieux de la commune de Trédion dans le Morbihan, pour pratiquer avec ses partenaires la suspension, très exigeante en matière de temps de travail. « Tout a commencé pendant le Covid, où j’ai rassemblé des artistes afin que l’on puisse s’entraîner ensemble. En installant notre agrès, La Spire, dans le gymnase de la commune, nous nous sommes fait connaître des habitants. C’était très joyeux, et nous avons décidé de prolonger l’expérience l’année suivante, en organisant des temps de partage ou autour de La Spire. Nous avons travaillé avec plusieurs lieux du village, et il a été très touchant pour nous de rencontrer des personnes qui sans doute ne seraient pas venues voir nos spectacles en salle. Là, elles se sentent chez elles et nous font redécouvrir ce qu’il y a d’étrange, de singulier dans nos pratiques », explique l’artiste qui baptise ces temps de rencontre des « chaudrons ».
Le prochain de ces rendez-vous qui décloisonnent la pratique circassienne aura lieu en mai prochain. Dans le gymnase et d’autres lieux municipaux, en partenariat avec d’autres structures locales, Rhizome et deux compagnies invitées continueront de « partager l’artisanat de la suspension, en faisant avec les gens et non pour eux, comme c’est le cas dans bien des résidences de territoires, alors que la plupart du temps les compagnies ne connaissent pas les lieux où elles travaillent. Au lieu d’être dans le ‘’trop’’, nous aspirons avec Rhizome à être dans le ‘’mieux’’ ». Une philosophie que semblent partager bon nombre des personnes interviewées pour cet article.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
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