Des acteurs passés par la « Prépa’théâtre 93 » en parlent comme d’une « chance inouïe »: depuis bientôt dix ans, cette classe préparatoire gratuite, à la Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, est réputée délier les jeunes comédiens et les propulser vers les écoles nationales.
« J’habitais au fin fond d’Aubervilliers, perdu dans la cambrousse du 93, quand j’ai appris que la MC93 existait grâce au bouche à oreille, à l’association 1.000 visages », raconte Gédéon Ekay, à Bobigny, dans le théâtre public où il aime revenir.
Ce comédien de 25 ans, qui s’épanouit à présent au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, à Paris, déborde de reconnaissance envers cette classe « égalité des chances ».
Né en Italie de parents congolais, arrivé à trois ans en France, il confie que chez lui, l’art était représenté « par un petit piano électrique: fin de l’histoire ».
La MC93, « ça a été une explosion de découvertes et la rencontre avec le théâtre, tout simplement », se souvient Gédéon. « Moi qui ai connu la précarité et la violence des quartiers, j’ai rencontré une famille – les gens de ma prépa – et une formatrice décisive, Valentina (Fago), qui m’a donné la chance de savoir qui j’étais et de vraiment me comprendre ».
Depuis 2015-2016, cette classe préparatoire aux concours d’art dramatique des écoles nationales a accueilli plus d’une centaine de jeunes de 18 à 25 ans, sélectionnés sur critères sociaux et auditions.
« Talentueux d’abord »
« Et ça marche », constate la directrice de la scène nationale, Hortense Archambault. « Près de la moitié des élèves sont rentrés dans des écoles. Ils sont talentueux d’abord », insiste-t-elle, dans son petit bureau avec vue sur une cité HLM.
La France a « un réseau extraordinaire d’écoles nationales de théâtre », valorise Hortense Archambault. La MC93 a participé au mouvement lancé par « des personnalités comme Stanislas Nordey et Claire Lasne-Darcueil qui ont travaillé à ouvrir le recrutement de ces écoles, dont les élèves étaient auparavant essentiellement issus de milieu bourgeois, de centre-ville ».
Certains anciens élèves jouent désormais sur de grandes scènes. Tel Gabriel Dahmani, 28 ans, à l’affiche de Pétrole à l’Odéon, qui tient à témoigner qu’il « n’a jamais été accompagné d’une manière aussi humaine et intense qu’à la MC93 » en 2019, avant d’être admis à l’école du Théâtre national de Strasbourg (TNS).
« Quand je passais les auditions, je ne savais quasiment pas parlé, j’avais d’énormes problèmes d’articulation, on ne comprenait pas un mot de ce que je disais sur le plateau! Ils m’ont mis en contact avec des orthophonistes », mentionne-t-il.
Même gratitude chez l’actrice franco-algérienne Yasmine Hadj Ali, 32 ans, certaine que ses deux années de Prépa – « un chamboulement libérateur » – lui ont « permis de rentrer au Conservatoire ». Cet été, elle a joué Born Again au Festival d’Avignon dans le cadre des Tentatives de Vive le sujet !.
« On avait toutes les ressources de la MC à notre disposition, c’était une chance inouïe, y compris le remboursement des frais de concours. Ça m’a permis de moins travailler à côté et d’accorder plus de temps à la préparation des scènes », dit cette Parisienne de « milieu très modeste » – mère auxiliaire de vie, père ouvrier.
« L’indulgence et l’exigence »
Ouvrant la salle de répétitions, l’intervenante artistique principale, Valentina Fago, 54 ans, laisse apprécier sa façon particulière de fomenter la parole, l’écoute, le lien. Allongés, quatre filles et sept garçons sont invités à se fondre dans le sol « comme la cire d’une bougie » puis à prononcer chacun une phrase forte d’une scène.
« Est-ce qu’on est vraiment sûrs d’être vivants? », « parfois il me vient l’envie d’aboyer »… Les phrases s’entrechoquent puis correspondent, quand le groupe se remet en mouvement, s’accorde.
« Toujours l’indulgence et l’exigence, pour vous-même et pour les autres », leur glisse Valentina. Ils termineront par un debrief, assis par terre en cercle.
« Des cercles comme ça, on en fait tous les jours », commente Margaux Hemery, 23 ans, venue de Bretagne. « Il y a ici un tel amour de la littérature, on travaille la capacité à se connecter au texte, de façon corporelle, organique, en partant de qui on est: ça m’a énormément libérée ».
Parmi les anciens reconnaissants, Bilal Slimani avait intégré la Prépa à 23 ans, l’école du TNS à 24.
« Tu déploie ton corps, tu déploies ton âme… Le plateau a apaisé les pensées négatives que j’avais », explique l’acteur de 27 ans qui peinait auparavant à encaisser regards et commentaires sur sa personne de Français « hybride« , de parents marocains.
A Villeneuve-d’Ascq où il a grandi, Bilal a créé une compagnie, pour « rendre ce qu’on lui a donné ». Il l’a appelée 93 mesures, « allusion à une chanson du rappeur Dinos et clin d’oeil à la MC93 » .
Laurence Boutreux © Agence France-Presse



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