Au Théâtre 71, le Collectif Mensuel retrace le destin flamboyant, puis calamiteux, de l’île méconnue de Nauru grâce à un théâtre populaire qui éveille gentiment les consciences.
L’histoire semble chimérique, tout droit sortie d’un petit manuel de collapsologie. Et pourtant, la splendeur et la décadence du micro-Etat de Nauru sont bien réelles, aussi méconnues soient-elles. En quelques dizaines d’années, cet îlot d’un peu plus de 21 km² perdu dans le Pacifique Sud est passé de l’opulence la plus crasse à la misère la plus totale. Longtemps, les Nauréens ont pu compter sur l’exploitation du phosphate, dont leur sous-sol regorgeait. Une manne, arrachée aux colonisateurs de tout poil, qui leur a permis de devenir l’un des peuples les plus riches du monde. Dans les années 1970 et 1980, l’argent coulait à flots. Grâce à une allocation mensuelle délivrée par l’État et aux petites mains chinoises qui s’occupaient de la basse besogne, les 10.000 habitants de Nauru n’avaient plus besoin de travailler, ne payaient ni l’électricité, ni les soins prodigués par leur hôpital dernier cri. Leur quotidien se résumait à une consommation à tous crins, de plats préparés, de voitures – chaque habitant en avait six ou sept –, et de programmes télévisés. Un paradis capitaliste, en somme, où l’oisiveté et le gaspillage étaient la règle, mais dont la belle mécanique s’est enrayée.
Car, à la fin des années 1980, le cours du phosphate, vendu notamment aux Australiens, s’est effondré, et l’or blanc s’est raréfié. Pour tenter de préparer l’avenir, les dirigeants de Nauru, conseillés par des hommes d’affaires peu scrupuleux, ont alors investi dans des projets immobiliers pharaoniques, à l’image de la Nauru House Building qui, lors de sa construction, était la plus haute tour d’Australie – et même financé une comédie musicale, Leonardo the Musical : A Portrait of Love, qui fut l’un des bides les plus retentissants du théâtre londonien. Las, les investissements se sont révélés de piètre qualité, et Nauru s’est enfoncée dans la crise. Dans une stratégie du sauve-qui-peut face à la colère des habitants et à son endettement massif, le gouvernement a fait de l’île un État-voyou, de ceux qui monnaient leur voix à l’ONU, vendent des passeports, pratiquent le blanchiment d’argent, essaient de se transformer en paradis fiscal, jusqu’à devenir la voie de garage migratoire des Australiens, qui y enfermaient dans un camp de rétention sordide les migrants repêchés aux abords de leurs côtes. Dévastée économiquement et écologiquement, Nauru était, au début du XXIe siècle, à l’image de son peuple : 90% des Nauréens étaient au chômage, 80% victimes d’obésité morbide, et l’espérance de vie n’y dépassait pas les 55 ans.
De cette ascension météorique, suivie d’une triste descente aux enfers, le Collectif Mensuel a choisi de s’emparer sur le mode de la fable. De la fondation géologique de l’île à sa déliquescence contemporaine, en passant par son passé colonial et le consumérisme forcené de sa population, les Belges mettent cette histoire à la portée de tous. Dans une mise en scène qui pousse les feux du grotesque, ils montrent l’absurdité de ce développement erratique qui, aussi excessif voire caricatural soit-il, porte en lui les mêmes symptômes – classe dirigeante incompétente, épuisement des ressources naturelles, consommation effrénée – que ceux du capitalisme mondialisé, dont certains prophétisent l’effondrement. Ainsi portée à la scène, l’histoire de Nauru résonne comme un signal d’alarme, un miroir, peut-être déformé, peut-être exact, de notre proche avenir.
Un brin trop littérale, l’adaptation s’effiloche dans ses dernières encablures – où le récit d’une révolte apporte une certaine confusion – et manque de recul analytique, mais reste soutenue par une énergie scénique particulièrement féconde. En maîtres de cérémonie complices, Sandrine Bergot, Baptiste Isaia et Renaud Riga profitent de l’ambiance festive créée par les musiciens-bruiteurs Quentin Halloy et Philippe Lecrenier. A la manière du collectif La Cordonnerie, tous mettent la main à la pâte pour réaliser les bruitages en live, filmer la décrépitude physique d’une île-maquette soumise à la voracité de l’Homme, et transformer son destin fantasmagorique en triste célébration, ironique et amère à la fois. Grâce à ce vrai-faux ciné-spectacle non dénué d’humour plus ou moins noir, le Collectif Mensuel bâtit un théâtre populaire, qui n’a d’autre prétention, et c’est déjà beaucoup, que d’être accessible à tous et d’éveiller les consciences. En toute modestie.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Sabordage
Conception et mise en scène Collectif Mensuel
Écriture Collectif Mensuel & Nicolas Ancion
Avec Sandrine Bergot, Quentin Halloy, Baptiste Isaia, Philippe Lecrenier et Renaud Riga
Scénographie et costumes Claudine Maus
Direction technique et création lumière Manu Deck
Montage vidéo Juliette Achard
Conseillers vidéo Camera-etc & Ian Menoyot
Création bruitage Céline BernardCoproduction Théâtre de Liège, Théâtre de Namur, Théâtre de l’Ancre, MARS Mons Arts de la Scène, l’Atelier Théâtre Jean Vilar et DC&J Création
En partenariat avec le Théâtre 71 – SN Malakoff, Bonlieu – SN d’Annecy, Kinneksbond Centre Culturel de Mamer
Avec le soutien de La Comète – SN Châlons-en-Champagne, Lux – SN de Valence, Centre culturel de Verviers, la Fédération Wallonie-Bruxelles / Service Théâtre, le Tax Shelter du Gouvernement fédéral de Belgique et Inver Tax Shelter
Avec la complicité d’Arsenic2Durée : 1h30
Théâtre 71, Malakoff
du 9 au 17 octobre 2019EDEN, Charleroi (Belgique)
du 21 au 24 octobre
MARS, Mons (Belgique)
du 6 au 8 novembre
Lux, Valence
les 10 et 11 mars 2020
La Machinerie, Vénissieux
le 13 mars
Théâtre Jean Vilar, Louvain-la-Neuve (Belgique)
du 17 au 21 mars
Kinneksbond, Mamer (Luxembourg)
le 27 mars
Théâtre de Namur (Belgique)
du 31 mars au 3 avril
Bonlieu Scène Nationale d’Annecy
les 16 et 17 avril
Centre Culturel de Verviers (Belgique)
les 23 et 24 avrilLa Comète, Châlons-en-Champagne
les 28 et 29 avril
Maison de la Culture d’Amiens
les 5 et 6 mai
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