Après s’être frotté au verbe foisonnant de Valère Novarina, c’est au silence que s’intéresse Cédric Orain. Celui d’un jeune disparu volontaire. D’un évaporé, dont la mère incarnée par Laure Wolf prend la parole. Disparu est l’une des nombreuses belles propositions du Théâtre du Train Bleu à Avignon.
« Je m’appelle Claire Brunet ». Ces premières paroles toutes simples, une voix venue d’on ne sait où les arrache à celle qui les prononce à mi-voix. De même que les quelques « oui » prononcés en réponse à des questions clairement rhétoriques. « Vous avez deux enfants ? ». « Et votre mari est décédé il y a 15 ans ? ». Assise sur une chaise à peine assez large pour elle, Laure Wolf n’a guère besoin d’autre chose que ces mots minuscules pour dire la peine de son personnage. Sa blessure ancienne qui, apprend-on bientôt, a trait à son fils Vincent, disparu en plein été 1973 pour ne jamais revenir. Dans Disparu, le metteur en scène Cédric Orain donne corps au vide laissé par l’absence d’un être aimé. Avec toute la pudeur, toute la délicatesse nécessaire, il explore les silences et les quelques bruits provoqués par l’effacement d’un être humain. Il donne à entendre ceux qui, d’habitude, sont laissés dans leur peine : ceux qui restent.
En approchant ainsi le phénomène de la disparition volontaire, Cédric Orain se préserve de toute forme de sensationnalisme. Sans nier le mystère qui entoure l’évaporation de quelques 2500 personnes par an en France – beaucoup plus au Japon, où se déroule un autre beau spectacle consacré au sujet : Les Évaporés de Delphine Hecquet, présenté en fin de saison au Théâtre de la Tempête à Paris –, il refuse de se laisser fasciner par lui. Et ce refus, cette résistance, contribuent beaucoup à la force du spectacle. D’autant plus qu’il est, lui aussi, exprimé avec retenue. En toute humilité. Cédric Orain, en effet, s’efface entièrement derrière le quasi-monologue troué de silences de sa protagoniste imaginée à partir d’une histoire réelle : la disparition d’un jeune homme, dont la famille a fini par faire le deuil. À l’exception de sa mère qui, 40 ans après, espérait toujours le retour de son fils.
Lentement, des souvenirs refont surface. Presque intacts. Vincent, dit par exemple Laure Wolf, « était un adolescent drôle, bon à l’école, il a toujours beaucoup lu, il lisait beaucoup, il écoutait beaucoup de musique, très fort ». « On lui laissait une grande liberté, il avait des résultats scolaires brillants, mais il ne pouvait pas s’empêcher de contester les institutions, la famille, il a lu jeune les grands auteurs français, beaucoup de philosophes, après il a eu sa période plus politique, plus engagée, plus anarchiste… », prononce la comédienne d’une voix de plus en plus décidée. De plus en plus ferme. De ces phrases à l’enquête, à la tentative d’élucidation, il n’y a qu’un pas que Cédric Orain ne franchira pas. En restant au seuil du voyeurisme que suscite souvent le sujet, Disparu ouvre des voies plus subtiles. Il se frotte aux limites du langage. À ses insuffisances, dont on ne sait si elles creusent la souffrance ou si, au contraire, elles en limitent la propagation.
Sculpté par les lumières mouvantes de Pierre Nouvel, qui signe aussi la très sobre scénographie de la pièce, l’espace qui accueille les mots de Laure Wolf entretient cette incertitude. En l’extrayant de toute forme de quotidien, de réel, il lui donne une allure presque mythique. De cette mère d’aujourd’hui, il fait une sorte de Pénélope dont l’attente semble pouvoir être éternelle. Dans sa belle « quête d’une voix qui a été retirée du domaine de la parole donnée », qui l’a mené auparavant sur les traces de Gilles Deleuze et de Valère Novarina, Cédric Orain fait ainsi avec Disparu une avancée majeure. Pleine d’ombres, mais également de lumières. De l’espoir que « ce qu’on ignore ne sera pas totalement inconnu ».
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Disparu
Écriture et mise en scène Cédric Orain
Avec Laure Wolf
Création sonore Manuel Peskine
Scénographie et création lumière Pierre Nouvel
Costumes Sophie HampeProduction La traversée
Co-production Maison de la Culture d’Amiens – Pôle européen de création et de production
Avec le soutien du Centquatre-Paris
Le projet Disparu bénéficie du soutien financier de la Région Hauts-de-France.
La compagnie – La Traversée bénéficie du soutien du Ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles Hauts-de-France, au titre de l’aide aux compagnies conventionnées.
Cédric Orain – La Traversée est artiste associé à la Maison de la Culture d’Amiens / Pôle européen de création et de production et artiste accompagné par le phénix – scène nationale de Valenciennes dans le cadre du Campus du Pôle européen de création. Il est artiste en résidence à Ma scène nationale – Pays de Montbéliard.
Ce spectacle bénéficie du soutien de la Région Hauts-de-France, dans le cadre de l’opération Hauts-de-France en Avignon.Durée : 1h10
Festival d’Avignon Off 2019
Théâtre du Train Bleu
Du 5 au 24 juillet à 13h45. Relâche les 11 et 18 juillet.Maison de la Culture d’Amiens
Du 5 au 8 novembre 2019
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