Dans La clairière du Grand n’importe quoi qu’il interprète lui-même, Alain Béhar déploie un verbe fou et un scénario catastrophe délirant. Où la Terre se met à tourner à l’envers, et où l’Afrique disparaît.
Seul sur un plateau où traînent des tableaux bicolores et quelques morceaux de scotch, Alain Béhar, éternel ébouriffé, se lance dans les mots comme un forcené. Comme si la parole pouvait arrêter la catastrophe qu’il annonce sans préambule : l’« inversion du système des vents des courants et des flux ». « L’évolution inéluctable des tendances fâcheuses, peut-être, la colère des poissons, la fin d’un cycle prévisible ou bien la vérité des trous noirs, on en sait rien… ». Dans La clairière du Grand n’importe quoi, nous sommes en 2043 et la fin du monde approche au pas de course. Ce qui fait cavaler également son héros, dont les jambes vont aussi vite que la langue, dans des directions absurdes, farfelues. Le tragique, chez Alain Béhar, a des airs de fête. C’est un grand carnaval où les phrases et les choses entrent en collision à chaque instant. Où ils se fracassent parfois, mais où le plus souvent ils fusionnent de manière inattendue.
Depuis que la Terre s’est mise à tourner dans l’autre sens, la météo est pourrie dans La clairière du Grand n’importe quoi. Les continents sont envahis par des marées qui « viennent le plus souvent de l’intérieur ». L’Afrique surtout, ou plutôt « les Afriques d’un peu partout », sont en train de disparaître sous une flotte qui vient de la terre autant que du ciel, si tant est qu’il y ait encore une différence. Né d’une commande d’écriture faite par le metteur en scène Moïse Touré à six auteurs africains et français – parmi lesquels Alain Béhar –, en vue de la création d’un spectacle intitulé 2147 et si l’Afrique disparaissait, La clairière du Grand n’importe quoi invite à regarder le monde autrement. Hors de nos repères, de nos hiérarchies habituelles.
Parmi les nombreux récits de migration que produit ces temps-ci le théâtre français, la pièce d’Alain Béhar se détache nettement en évitant avec fougue tous les lieux communs sur le sujet. En osant s’aventurer dans des contrées langagières inexplorées, sans reculer devant la perte de tous les sens. À commencer par la définition du mot « sens » elle-même, qui a « dû être reconsidérée », dit assez tôt l’artiste dans son flux de paroles ininterrompu. Dans La clairière du Grand n’importe quoi, le signe est non seulement très arbitraire, mais son détachement de tout lien avec un réel de toute façon insaisissable est exhibé. Dans son personnage d’affolé permanent, Alain Béhar exprime cette séparation avec son humour de clown qui n’a pas le temps d’être vraiment triste. Ni d’ailleurs d’être vraiment gai.
Dans sa course et ses gesticulations, le héros sans grandes qualités de la pièce accumule les mésaventures à une rapidité telle que le statut fictif du récit est en permanence présent à l’esprit du spectateur. Poussé jusqu’à l’absurde, l’épique de La clairière du Grand n’importe quoi devient paradoxalement espace de réflexion, de méditation sur l’état de l’Homme. Sur son intelligence transformée par les nouvelles technologies, qui ont une place importante dans l’œuvre d’Alain Béhar. Dans Mô par exemple, où il imagine le flux de conscience d’un garçon picnoleptique – pour simplifier, incapable d’être tout à fait en phase avec le présent. Ou dans Até, où il inventorie les possibilités de vie qui émergent après la révolution numérique. S’il paraît à première vue prendre la tangente devant le réel, le théâtre d’Alain Béhar s’y embarque à fond. Et nous embarque à ses côtés.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
La clairière du Grand n’importe quoi
Texte, mise en scène et interprétation Alain Béhar
Collaboration artistique Marie Vayssière
Lumières Claire Eloy
Son Pierre-Olivier Boulant
Dispositif scénique Cécile Marc
Costumes Elise Garraud
Avec les regards croisés de Montaine Chevalier, Benoist Bouvost, Isabelle Catalan, David Malan, Juliana Béjaud, Suzanne Joubert, Jesshuan Diné, Gilles Masson…
Soutiens Théâtre du Bois de l’Aune / Aix en Provence, Pôle arts de la scène / Friche de la Belle de mai / Marseille, Théâtre des 13 vents / CDN de Montpellier, Théâtre + Cinéma, Scène Nationale du Grand Narbonne, Le théâtre du Périscope à Nîmes. En 2018 et 2019, Alain Béhar est en résidence d’auteur à La Fabrique du Théâtre des 13 vents CDN Montpellier.
La compagnie Quasi est conventionnée par la DRAC, subventionnée par la Région Occitanie et le département de l’Aude.Durée : 1 heure
Festival d’Avignon Off 2019
Théâtre Artéphile
du 5 au 27 juillet 2019 à 16h35 – Relâches les dimanches 4, 14 et 21Théâtre du Bois de l’Aune – Aix-en-Provence
les 5 et 6 novembreFestival Les Rencontres à l’échelle – Friche de la Belle de Mai à Marseille
le 8 novembreThéâtre SortieOuest – Béziers
du 14 au 16 novembreThéâtre Le Périscope – Nîmes
le 21 novembreThéâtre + Cinéma – Scène nationale du grand Narbonne
le 28 novembre
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