Dans la peau de Claudette Colvin

Photo Giovanni Cittadini Cesi

Avec Noire, Tania de Montaigne et Stéphane Foenkinos corrigent un oubli de l’Histoire et réhabilitent la figure de cette femme-courage qui, avant Rosa Parks, avait eu l’audace de s’opposer à la ségrégation raciale.

Claudette Colvin et Rosa Parks ont de nombreux points communs. Femmes, noires, toutes les deux ont habité la ville de Montgomery où la ségrégation raciale était, il y a plus soixante ans, la règle. En 1955, toutes les deux se sont opposées, avec courage, à cette loi absurde qui voulait que, dans les bus municipaux, les Noirs ne puissent pas s’asseoir dans les premiers rangs et cèdent obligatoirement leur place assise aux Blancs. A quelques mois d’intervalle, l’une en mars, l’autre en décembre, toutes les deux ont eu la même audace, celle de dire « non », de rester assises lorsqu’on leur ordonnait de se mettre debout. Et pourtant, alors que Rosa Parks devint l’une des égéries du mouvement des droits civiques aux côtés de Martin Luther King, Claudette Colvin dut se contenter de l’ombre, celle qui échoit aux nombreux oubliés de l’Histoire.

A cette femme qui, à l’âge de 15 ans, a ouvert la voie, Tania de Montaigne a voulu rendre ses lettres de noblesse. Encouragée par Caroline Fourest et Fiammetta Venner, créatrices chez Grasset de la collection Nos héroïnes dédiée aux femmes oubliées, la romancière lui a d’abord consacrée un livre où, au-delà de son histoire – sur laquelle Claudette Colvin, toujours en vie, a refusé de revenir –, elle s’attache à démêler le vrai du faux, à comprendre pourquoi celle qui fut un temps soutenue par le NAACP – y compris par Rosa Parks elle-même – lors de son procès, devint peu à peu une paria, une figure « non idéale » – car trop noire, trop jeune, trop pauvre – de la lutte contre la ségrégation raciale, jusqu’à voir son rôle passé par pertes et profits.

Dans l’adaptation qu’il en livre sur la scène du Théâtre du Rond-Point, Stéphane Foenkinos n’a pas souhaité rejouer ce récit de vie. A l’incarnation, le metteur en scène a judicieusement préféré la narration, confiée à Tania de Montaigne qui montait pour la première fois sur les planches. Dans un dispositif scénographique simple et efficace, animé par des projections d’images ou de vidéos d’archives, d’une interview de Nina Simone à la bande annonce du Mirage de la vie, la romancière déambule et raconte, aussi sobrement que franchement.

Armée de sa voix posée et diablement sereine, elle cherche à nouer avec les spectateurs une complicité, intellectuelle et sensible, qui devrait, en théorie, faciliter la sacro-sainte identification. Sauf qu’à trop vouloir en faire, le procédé parait superfétatoire et se transforme en chausse-pied théâtral dont l’histoire, parce qu’elle est suffisamment forte, n’avait nul besoin. Pour autant, lorsqu’il laisse le récit éclore, lorsqu’il permet de toucher du doigt l’ampleur de la ségrégation raciale, lorsqu’à force de jeu distancié se fait jour une ironie pleine de rage qui montre la cruauté de la situation vécue par Claudette Colvin, le duo fait mouche et parvient à réussir, avec force et panache, son entreprise de réhabilitation.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

Noire
d’après Noire – La Vie méconnue de Claudette Colvin de Tania de Montaigne
Adaptation et mise en scène Stéphane Foenkinos
Avec Tania de Montaigne
Assistanat à la mise en scène Joseph Truflandier
Scénographie Laurence Fontaine
Créatrice lumières Claire Choffel-Picelli
Création vidéo Pierre-Alain Giraud
Voix additionnelles Lola Prince et Stéphane Foenkinos
Production 984 Productions – Florence D’Azémar – Arnaud Bertrand ; coréalisation Théâtre du Rond-Point ; coproduction et accueil en résidence EPCC centre dramatique national de Normandie-Rouen
Remerciements à Arthur Nauzyciel, Olivier Chaudenson, Jean Dindinaud et Olivier Le Solliec du studio Chez Jean
Texte publié aux éditions Grasset (collection Nos héroïnes) en 2015

Durée : 1h05 

Théâtre du Rond-Point, Paris
du 15 au 26 SEPTEMBRE 2020
20h