Pour sa nouvelle création, Une femme se déplace, l’auteur et metteur en scène David Lescot signe une comédie musicale enlevée à l’interprétation impeccable.
La musique traverse depuis longtemps le travail théâtral de David Lescot. Que l’on remonte à La Commission centrale de l’enfance, seul en scène créé en 2008 dans lequel Lescot narrait en s’accompagnant sobrement à la guitare électrique ses souvenirs de colonies de vacances au sein de la CCE, structure fondée par des juifs communistes ; à La Chose commune, spectacle né en 2017 où le jazz et l’imaginaire de la résistance qui lui est lié sont convoqués pour raconter l’histoire de la Commune de Paris, l’auteur, metteur en scène et comédien n’hésite pas à convier cet art dans nombre de ses projets. L’occasion souvent pour lui de réunir des musiciens et des chanteurs pour la création de compositions originales, tout en traduisant différemment au plateau les enjeux et émotions narrés. Pour Une femme se déplace, spectacle né en juin dernier lors du Printemps des comédiens à Montpellier, David Lescot s’attaque cette fois à la comédie musicale. Ce genre très codifié signifiant pour Lescot « le paroxysme du théâtre », l’auteur et metteur en scène s’en saisit pour conter un parcours d’émancipation.
Ainsi, au fil des deux heures quinze de représentation, Georgia, personnage central de la pièce, va bel et bien se déplacer, pour trouver un nouvel équilibre plus harmonieux. Pourtant, lorsque le spectacle débute, tout semble aller on ne peut mieux dans sa vie. Dans un restaurant branché parisien au décor blanc volontairement très neutre, Georgia retrouve Axelle, l’une de ses meilleures amies pour un déjeuner. Installées à une table métallique au design épuré et entourées d’autres clients, les deux jeunes femmes discutent à un rythme très enlevé. Autour d’elles s’affairent les serveurs, dans un ballet de mouvements stylisés soigneusement réglé. À écouter Georgia, cette femme active semble satisfaite de tout : travail, enfants, conjoint, choix de vie. Sauf que le déjeuner avançant, les mauvaises nouvelles – professionnelles comme familiales – s’enchaînent. Perdant ses moyens, Georgia confond alors le brumisateur de table avec un chargeur de téléphone. Cette mauvaise manipulation la fait basculer dans une autre dimension et elle se retrouve projetée dans un passé… très récent, soit au début de son déjeuner avec Axelle. Ne comprenant pas ce qui lui arrive, c’est par l’entremise d’une autre cliente du restaurant, Iris (victime comme elle d’une distorsion temporelle), que Georgia appréhende ces univers parallèles. À l’aide de son téléphone, Georgia va expérimenter son passé et son futur lointains ou proches. Après des essais purement hédonistes, Georgia structure progressivement ses déplacements. Désir de trouver des moments marquants, souci de comprendre des blessures profondes, besoin de réparer des événements tragiques, etc. Sans cesse aiguillonnée par Iris – Georgia revenant au restaurant entre chaque pérégrination temporelle – la femme qui s’affirmait heureuse va questionner ses sentiments, réévaluer sa situation. Au terme de ce parcours initiatique, Georgia reprend le cours de sa vie. Une femme se déplace n’étant pas un conte de fées, tout n’est pas résolu pour autant. Néanmoins Georgia a su écouter son désir profond et elle s’apprête à vivre sa vie de famille, avec Iris en sus, affranchie des cadres hétéronormatifs.
Avec ses rebondissements et sa structure séquencée – les échappées temporelles s’enchaînant – le texte offre nombre de moments propices à des scènes de chants et de danses. Et c’est bien là que réside la belle réussite de ce spectacle : porter haut les codes de la comédie musicale. S’enchaînant à un rythme plutôt enlevé, qu’entame à peine les fréquents changements de décors, les morceaux viennent soutenir autant qu’enrichir la narration. Interprétées par quatre musiciens situés sur scène derrière un voile dont la transparence évolue au fil du spectacle, les compositions embrassent des tempéraments divers, des plus prestes et légers aux plus mélancoliques.
En scène, l’équipe de comédiens réunie porte avec brio chaque morceau. Certains impriment leurs mélodies dans la durée dans la mémoire, autant par la qualité des compositions que de l’interprétation. Citons la chanson d’Assia, amie de Georgia qui se suicidera et dont le caractère tourmenté se dit avec justesse dans la chanson « Mon antidote contre l’angoisse c’est la tristesse » ; celle, endiablée et drôle, de la mère de Georgia lors de la saisie de ses biens par les huissiers ; ou encore celle, un brin désabusée, de l’enfant Ivan sur le fonctionnement du GPS. D’aucuns pourront regretter le caractère parfois consensuel ou appuyé de l’écriture, comme la manière de vouloir embrasser nombre de sujets, jusqu’à des questions politiques évoquées sans grande finesse – ainsi du personnage de Simon, ancien compagnon de Georgia et militant ultra-gauche. Mais il faut reconnaître à Une femme se déplace son énergie, son humour, sa vitalité et sa grande qualité d’interprétation. Et si l’écriture peut sembler parfois trop frivole ou divertissante, il s’agit bien là des ressorts caractéristiques de la comédie musicale. Celle de spectacles joyeux et divertissants, aptes à aborder des sujets graves avec légèreté, sans s’encombrer d’une trop grande psychologie des personnages. Et cela, c’est tout un art…
Caroline Châtelet – www.sceneweb.fr
Une femme se déplace
Musique : David Lescot
Décor : Alwyne de Dardel
Lumières : Paul Beaureilles
Son : Alex Borgia
Costumes : Mariane Delayre
Chorégraphie : Glysleïn Lefever
Collaboration artistique : Linda Blanchetavec : Candice Bouchet, Elise Caron, Pauline Collin, Ludmilla Dabo, Matthias Girbig, Alix Kuentz, Emma Liégeois, Yannick Morzelle, Antoine Sarrazin, Marie Sergeant, Jacques Verzier
et
Anthony Capelli : batterie
Fabien Moryoussef : claviers
Philippe Thibault : basse
Ronan Yvon : guitareProduction Compagnie du Kaïros
La Compagnie du Kaïros est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC Ile de France au titre des Compagnies et Ensembles à Rayonnement National et International avec le soutien du Jeune Théâtre National et de l’École Nationale Supérieure d’Art Dramatique de Montpellier Languedoc Roussillon.
Durée : 2h15
Le Monfort, Paris (en partenariat avec le Théâtre de la Ville)
du 16 au 23 décembre 2020, à 18h30Théâtre de l’Archipel, scène nationale de Perpignan
les 6 et 7 janvier 2021L’Estive, Scène nationale de Foix et de l’Ariège
le 10 janvierThéâtre de Sartrouville et des Yvelines – Centre dramatique national
le 15 janvierThéâtre National de Nice
les 21 et 22 janvierOpéra de Rouen Normandie
le 2 févrierThéâtre-Sénart, scène nationale
les 2 et 3 marsComédie de Béthune – Centre Dramatique National
les 11 et 12 marsMaison des Arts – Créteil
les 17 et 18 marsLa Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale
du 30 mars au 1er avrilLes Quinconces L’Espal, scène nationale du Mans
le 6 avrilThéâtre de Cornouaille, scène nationale de Quimper
les 9 et 10 juin
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