Au long d’une épopée intime et familiale en terres britanniques, françaises et irlandaises, la jeune comédienne et metteuse en scène part à la recherche de son grand-père, disparu il y a plusieurs décennies sans laisser de traces. Seule en scène, elle étonne par sa performance, à la fois enlevée, drôle et touchante.
Pour Kelly, la disparition de son grand-père était, au départ, un curieux atout drague, capable de séduire ce gentil surfeur ou cet étudiant amateur de chicha, impressionnés par les histoires que la jeune femme recréait autour de ce mystère familial. Comme tant d’autres, elle faisait partie de ces zones d’ombre tellement ancrées qu’elles en deviennent naturelles, que plus personne ne cherche à les éclaircir, que chacun les côtoie sans trop se poser de questions. Pourtant, en grandissant, en ayant elle-même un enfant, Kelly se prend à rêver de retrouver la trace de Peter O’Farrel, cet homme qui, un jour de 1966, a décidé de disparaître, de quitter sa femme, Margaret, et ses six enfants, sans jamais plus se retourner.
Ses pièces à conviction familiales épinglées derrière elle, comme dans toute bonne intrigue policière, la jeune femme raconte, seule en scène, cette épopée originelle et rejoue, étape par étape, cette quête qui l’a conduite, au gré de ses recherches, en terres britanniques, françaises et irlandaises. Dans cette course folle, elle bénéficie du soutien indéfectible, quoique flegmatique, de son frère, Julien, mais se confronte au silence de sa mère, Kathlyn, à la fuite de son père, Michel, aux dénégations de sa grand-mère, Margaret, qui ne lâche rien, même lorsqu’on tente de l’étrangler. De cette enquête, elle fait une aventure, entre exil choisi, pauvreté subie et désir d’émancipation, émaillée de rires bien plus que de larmes, de grands espoirs et de petites peines.
À la manière d’une Laetitia Dosch en version plus apaisée, Kelly Rivière endosse tous les rôles de cet album de famille. Plutôt que de s’appuyer sur une collection d’accessoires, elle transforme une gestuelle, un tic, une caractéristique – le joint pour l’un, l’accent so british pour l’autre – en élément immédiatement identifiable pour donner corps et âme aux discussions souvent drolatiques, parfois touchantes. A travers ce kaléidoscope, c’est toute sa richesse familiale qui explose à vue. Le français s’entremêle avec l’anglais, les « r » roulés de l’Irlande croisent l’accent du midi, et forment une confluence dont elle remonte les différents affluents.
Ni voyeur, ni caricatural, ce récit à livre ouvert entretient une saine distance par rapport aux faits réels dont il s’inspire, grâce au doux écrin de la fiction. Avec presque rien, à la seule force du jeu, Kelly Rivière embarque les spectateurs, regard attendri et sourire aux lèvres, avec elle, et rappelle, au passage, que le théâtre est, aussi, constitué de ces moments d’une simplicité presque déconcertante. Elle prouve que l’humanité et l’authenticité suffisent pour tendre vers une certaine universalité. A cette comédienne qui fouille dans son passé, on peut alors, au vu de son talent, promettre un avenir théâtral avec plus de lumière que d’ombre.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
An Irish Story
Une histoire irlandaise
de et avec Kelly Rivière
Collaboration artistique Jalie Barcilon, David Jungman, Suzanne Marrot, Sarah Siré
Collaboration artistique à la lumière et à la scénographie Anne Vaglio
Scénographie Grégoire Faucheux
Costumes Elisabeth CerqueiraProduction Théâtre de Belleville et Histoire de… en collaboration avec la Compagnie Innisfree Soutiens Festival IF, Maison Maria Casarès, Château de Monthelon, Studio Thor (Bruxelles), Samovar, Théâtre de la Girandole, SPEDIDAM, Fonds de soutien AFC, Groupe Leader Interim et Fondation E.C.Art-POMARET
Durée : 1h25
La Scala Paris
Du 15 octobre 2024 au 23 juin 2025
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