Monstre sacré du théâtre français, le comédien s’est éteint, mercredi 13 avril, à l’âge de 96 ans. Un hommage national lui sera rendu aux Invalides le 27 avril prochain.
Jusqu’au bout, Michel Bouquet aura honoré les planches. Plusieurs fois, ces dernières années, fatigué, il avait annoncé qu’il raccrochait. Et c’est finalement Michel Fau – son élève au Conservatoire – qui l’avait convaincu de jouer une dernière fois dans Le Tartuffe de Molière, où il incarnait un Orgon en fin de vie. « Jouer à 92 ans, c’est homérique », nous avait-il alors confié. C’était une épreuve, il ne s’en cachait pas, mais c’était sa raison d’être. Ne parvenant pas à quitter la scène, il a joué jusqu’au bout, comme Molière – l’un de ses maîtres à penser.
Décédé, ce mercredi 13 avril, à l’âge de 96 ans, Michel Bouquet était l’un des derniers monstres sacrés du théâtre français, le dernier des grands comédiens du XXe siècle à avoir connu les débuts de Jean Vilar au Festival d’Avignon en 1947.
Collègue de Gérard Philipe au Conservatoire, il fut l’un des compagnons de la première heure de Jean Anouilh, puis avait opté délibérément pour le théâtre privé, tout en prenant un soin particulier à choisir ses auteurs : Molière, Diderot, Beckett et Thomas Bernhard, son auteur préféré. Porter ses grands textes devant un public l’a guidé jusqu’au bout. C’était sa fierté.
Michel Bouquet,
Mon maître,
Au sens profond du terme.
C’est aujourd’hui – quand je dis aujourd’hui, je parle de ces dernières années, depuis que la transmission est devenue ma raison d’être – c’est aujourd’hui que j’en ressens le plus les effets.
Michel Bouquet,
Celui qui m’a tout donné, celui de qui j’ai tout reçu, et de qui j’ai tout gardé. D’abord, de façon presque inconsciente, comme un trésor enfoui mais bien présent.
Puis l’enseignement, à mon tour, m’a fait revenir à lui plus que jamais, de façon cette fois consciente. Mes élèves le savent, auxquels je rebats les oreilles de ses conseils incontournables, essentiels, fondateurs. Avec lesquels je ne suis jamais avare d’anecdotes le concernant.
Michel Bouquet n’a pas seulement été mon professeur. Nous nous sommes rencontrés, pendant une année, trois fois par semaine. J’ai bu ses paroles, écouté ses conseils rassurants quand j’étais trop ébranlée. « Tu te troubles Laurence, ne te troubles pas »
Michel ne nous dirigeait pas. Ils nous apprenait le travail acharné, la lecture acharnée, car « l’acteur est un être culturel ». Il s’adressait à chacune et à chacun en tenant compte de nos fragilités et de nos points forts. Il nous parlait, beaucoup, parfois pendant des heures, et certaines phrases résonnent encore à mes oreilles 40 ans après.
« Il faut jouer les contraires » « Ce n’est pas toi qui dois être émue, c’est le public » « Il faut que tu mâches le texte, encore et encore » « Il faut jouer l’auteur avec humilité, c’est l’auteur qui compte »
Quand j’écoute ses cours enregistrés au Conservatoire en 1986 et 1987, je suis épatée par sa drôlerie que j’avais un peu oubliée, par son humour et sa modernité de pensée. Ce n’était pas un être polissé. Il avait une sorte de classe, sans le filtre de la « bonne éducation ». Je pense qu’il prenait même un malin plaisir à employer des mots un peu crus, à provoquer.
J’ai maintenant lu ses entretiens, regardé de façon presque compulsive ses interviews, lu les pièces qu’il a jouées, vu les films auxquels il a participé. Jamais de lassitude à le côtoyer, même virtuellement. Toujours et encore de plus en plus d’admiration. Pas de celle qui met sur un piédestal. Non. De celle qui fait revivre de façon incroyablement présente, les moments privilégiés que j’ai eu la chance de vivre avec lui, et avec mes camarades de la promo 1985. Celle empreinte d’une immense affection.
Aujourd’hui, ce n’est pas un au revoir, ni même un adieu, car Michel est, et sera toujours, mon maître de théâtre, et je l’en remercie de tout mon cœur.
Laurence Masliah
Bonjour Laurence, soeur de la promotion 1985 ! et soeur de la « classe Bouquet »…
Cela fait du bien, tous ces souvenirs ! Grand merci à toi !
Je me souviens aussi que souvent je ne comprenais pas ce que Michel me disait. Eh oui nous l’appelions Michel… un vrai privilège, quand on y pense…
Parce qu’il s’adressait à une part de nous que lui seul voyait, celui ou celle que nous allions devenir !
Je n’oublierai jamais ce que je surprenais de lui quand je le regardais assister au travail des élèves sur scène : son expression quelquefois tourmentée, quelquefois émerveillée, toujours intense.
Je transmets aussi à mon tour, et la trace du Maître est indélébile, tatouée à l’âme.
Être fou de théâtre et de l’art du Jeu à ce point, cela passera tous les obstacles du Temps.
Ma mère l’admirait tant depuis toujours que j’ai voulu entrer au « Conss… » pour travailler avec lui. Il me terrifiait jusqu’à ce que, mes jambes se dérobant, j’ose l’aborder dans la rue et me trouve devant cet homme si touchant, dépassant sa profonde timidité grâce à la passion qui l’animait.
Avoir reçu de lui ce qu’il donnait avec tant de ferveur, et de rage quelquefois, fait partie de ce que j’ai thésaurisé de plus précieux. D’autant que j’ai toujours eu conscience de la chance que j’avais, que nous avions… Quelle délectation !
Encore merci Laurence pour la justesse de tes évocations.
Et à toujours, Michel ! à toujours…
Laurence Blasco