A la rentrée, au Théâtre des Bouffes du Nord Emmanuel Meirieu reprend La Fin de l’homme rouge, de Svetlana Aleksievitch, spectacle créé cet hiver aux Gémeaux à Sceaux. Fidèle aux questionnements qui l’accompagnent à chaque spectacle, Meirieu porte au théâtre le « témoignage de personnes brisées ». Aleksievitch a reçu le prix Nobel de littérature en 2015, est-ce fréquent de voir les lauréats de ce prix sur les planches ?
En France, le pays qui a eu le plus de lauréats du prix Nobel de littérature, on continue à porter inlassablement les récipiendaires sur scène, peu importe leur horizon littéraire. Le tout premier Nobel de l’histoire (1901) est le poète français Sully Prudhomme. Ponctuellement, son œuvre se retrouve sur les planches (comme au Théâtre des Déchargeurs en 2017). D’autres poètes sont ainsi mis à l’honneur, comme Frédéric Mistral (prix Nobel 1905).
On l’oublie souvent, mais le Nobel de littérature récompense parfois un dramaturge. La plupart du temps, ils occupent les planches autour de leur époque, le prix Nobel arrive au faîte de leur gloire. A la fin du XIXe siècle, Bjørnstjerne Bjørnson (prix 1903) est mis en scène par Antoine puis Lugné-Poe. L’écrivain norvégien n’a cependant jamais eu la même destinée qu’Ibsen, son ami et rival. Dans les années 1920, on monte Jacinto Benavente (prix 1922) et Anatole France (prix 1921). Ainsi, rien ne dit qu’Harold Pinter (prix 2005), sera encore joué dans 20 ans !
Néanmoins, quelques « stars » transcendent les époques. Parmi elles, Rudyard Kipling (prix 1907) a sans cesse été adapté au théâtre. Notamment son Livre de la jungle qui connaît un nouveau souffle au fil des saisons. Il y a quelques années, Bob Wilson l’avait monté avec le groupe CocoRosie à la musique. Autre constante, Maurice Maeterlinck (prix Nobel 1911). L’icône du symbolisme a sans cesse été mis en scène depuis son couronnement jusqu’à aujourd’hui : Georges Pittoëff, Denis Podalydès, Claude Régy, Célie Pauthe sont parmi ceux qui ont travaillé sur sa production littéraire. Dans les auteurs qui connaissent une fidélité constante de la part du milieu artistique, on relève aussi Luigi Pirandello (prix 1932), dont on ne compte plus les mises en scène actuelles.
Toujours parmi les « stars », les américains reviennent souvent sur les planches. Eugene O’Neill (prix 1936) a connu quelques belles productions ces dernières années, bien qu’il reste moins monté que son éternel concurrent Tenessee Williams. William Faulkner (prix 1949) voit aussi son œuvre portée de temps à autre à la scène.
Enfin, pour les auteurs Français ou, du moins, de langue Française, Albert Camus (prix 1957) est sans doute le Nobel le plus joué sur scène, avec Samuel Beckett (prix 1969). Les lauréats hexagonaux les plus récents comme Patrick Modiano ou J. M. G. Le Clézio connaissent aussi quelques mises en scène mais celles-ci sont plus confidentielles.
De fait, le Nobel est une caisse de résonnance avec l’actualité. La plupart des auteurs qui sont montés au théâtre et qui reçoivent le prix (ou l’inverse), le sont à moins de cinq ans d’intervalle. Le Nobel s’inscrit, comme les auteurs qu’il récompense, en phase avec le monde. Cela dès 1905 avec la récompense attribuée à Henryk Sienkiewicz (auteur de Quo vadis ?), mais aussi en 1957 lorsque le prix couronne un Camus en faveur de la paix en Algérie et en 1997 quand Dario Fo était en prise contre le Vatican. Comme eux, Svetlana Aleksievitch raconte le monde d’aujourd’hui dans une langue qui se prête au jeu dramatique. C’est probablement plus cela que veulent mettre en avant les artistes qui travaillent sur elle aujourd’hui que le fait qu’elle soit labélisée « prix Nobel ».
Car pour revenir à La Fin de l’homme rouge, Emmanuel Meirieu l’adapte plus par volonté artistique que par opportunisme. Il rejoint une autre amatrice et fidèle d’Aleksievitch : Stéphanie Loïk. Celle-ci travaille depuis plus de dix ans sur les textes de l’autrice Biélorusse. Le Nobel est venu en sus et il n’a troublé en rien la ferveur habitant ceux qui portent La Fin de l’homme rouge à la scène…
Hadrien Volle – www.sceneweb.fr
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