Aux commandes de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche, Michel Schweizer cherche à confronter, dans un mélange d’humour et de gravité, les spectateurs à la différence. Une proposition aussi salvatrice dans son principe qu’inaboutie dans sa réalisation.
La rencontre entre Michel Schweizer et la Compagnie de l’Oiseau-Mouche ne pouvait aboutir qu’à un spectacle hors norme, à bien des égards. Depuis 20 ans, le metteur en scène, aujourd’hui invité par la troupe de comédiens en situation de handicap mental, explore les marges de la création, développe un art inclassable, à la lisière des territoires chorégraphiques, plastiques et théâtraux. Il ne fallait pas attendre de lui une proposition bon teint, fondée sur une pièce classique, où ses acteurs particuliers auraient cherché à atteindre les canons de la norme théâtrale pour satisfaire des spectateurs confortablement installés dans leurs certitudes. Au gré d’un geste osé et salvateur à la fois, Michel Schweizer a fait tout le contraire. Il a affirmé et revendiqué la différence de cette troupe pour y confronter le public, et l’obliger à regarder l’Autre dans les yeux.
Le metteur en scène et scénographe a demandé aux sept comédiens professionnels ce qu’ils aimeraient incarner et dire sur le plateau, d’exploiter, en quelque sorte, l’une des facultés premières du théâtre. Au lieu d’en choisir un pré-construit, il a bâti, avec l’aide de Marie-Claire Alpérine, Jérôme Chaudière et Thierry Dupont, un texte, fragmentaire et sur-mesure, qui permet à chacun d’y aller de sa partition. Dans une magnifique séquence inaugurale, Frédéric Foulon est soumis, par vidéo interposée, au test de Rorschach dont l’emblématique tache recouvre le dos de son sweat-shirt ; Florence Decourcelle joue une nonne rebelle ; Thierry Dupont se fait, tour à tour, musicien endiablé et incendiaire de la société et de ses élites ; Marie-Claire Alpérine singe Fabrice Luchini ; Jonathan Allart se convertit en animateur de jeu puéril ; Jérôme Chaudière devient marionnettiste dépressif ; et Dolorès Dallaire s’insurge contre la méritocratie – symbolisée par une tente de survie jaune et blanche, floquée du logo « Ministère de l’innovation sociale » – dont ils sont, de fait, le plus souvent, exclus.
Dans un climat de rébellion contre le système – capitaliste, étatique, religieux –, ces beaux Diables prennent alors, dans un mélange d’humour et de gravité, le pouvoir sur scène. Leur présence, aussi particulière qu’engagée, volontaire qu’affirmée, les replacent au centre du jeu et donne naissance à un patchwork scénique tout droit sorti d’une réalité alternative. Dans la poétique qu’il dégage, émaillée par quelques fulgurances, ce monde d’un autre type sait se faire, parfois, plus clairvoyant que celui d’un quotidien bien sous tous rapports. En ce sens, le pari de Michel Schweizer, soutenu par une excellente création musicale et le sens aigu des lumières d’Eric Blosse, fonctionne par la déstabilisation qu’il provoque. La différence des corps, des attitudes, des pensées, et même d’une certaine conception de la société, se révélant capable de bousculer les certitudes.
Malheureusement, s’il fait mouche dans ses moments les plus sensibles, et tout particulièrement dans ses prologue et épilogue, l’ensemble se révèle, presque logiquement au vu de son principe fondateur, trop décousu pour convaincre pleinement. Tiré à hue et à dia, le fil dramaturgique désunit plus qu’il n’unifie la troupe, embarquée dans une suite de solos ou de duos à la réussite très inégale. La révolte des Diables débouche alors sur une composition fouillis, brouillonne, qui aurait sans doute mérité d’être davantage cadrée pour gagner en clarté, et ne pas laisser, au sortir, ce léger goût d’inachevé.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Diables
Un spectacle de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche
Conception, scénographie, direction Michel Schweizer
Avec Jonathan Allart, Marie-Claire Alpérine, Jérôme Chaudière, Dolorès Dallaire, Florence Decourcelle, Thierry Dupont et Frédéric Foulon
Textes Marie-Claire Alpérine, Jérôme Chaudière, Thierry Dupont, Michel Schweitzer
Collaboration artistique Cécile Broqua
Scénographie Eric Blosse, Michel Schweitzer
Conception sonore Nicolas Barillot
Création lumières Eric Blosse
Conception vocale et musicale Dalila Khatir
Conception et training marionnette Bérangère Vantusso
Réalisation marionnette Einat Landais
Production Compagnie de l’Oiseau-Mouche
Coproduction La COMA, Le Gymnase – CDCN Roubaix – Hauts-de-France, La Villette (Paris), Les 2 Scènes – scène nationale de Besançon, Le Bateau Feu – scène nationale de Dunkerque, Théâtre d’Arles – scène conventionnée art et création – nouvelles écritures, Théâtre Molière-Sète – scène nationale archipel de Thau, Le Tandem – scène nationale Arras-Douai, MA scène nationale – Pays de Montbéliard, Le Phénix – scène nationale de Valenciennes
Avec le soutien du CDN de Normandie, Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – scène nationale, Centre Culturel André Malraux – scène nationale de Vandoeuvre, Maison de la Culture d’Amiens
Remerciements particuliers à Caroline Decloitre pour son accompagnement artistique.
La Compagnie de l’oiseau-Mouche est conventionnée par le Ministère de la Culture – DRAC des Hauts-de-France et subventionnée par le Ministère des Affaires sociales et de la Santé – ARS des Hauts-de-France, la Région Hauts-de-France, le département du Nord, la ville de Roubaix, la métropole européenne de Lille, l’Office national de diffusion artistique.Durée : 1h10
La Villette, Paris
du 16 au 20 décembre 2019
Théâtre de Saint-Quentin-En-Yvelines, Scène Nationale
les 4 et 5 février 2020
Maison de la culture d’Amiens
les 12 et 13 février
Théâtre Molière-Sète, Scène Nationale archipel de Thau
le 10 mars
Les 2 Scènes, Scène Nationale de Besançon
du 24 au 26 mars
Bateau Feu, Scène Nationale de Dunkerque
les 28 et 29 avril
TANDEM, Scène Nationale Arras-Douai
les 5 et 6 mai
Phénix, Scène Nationale Valenciennes
le 12 mai
Festival Crossing the Line à Galway, Capitale européenne de la culture
du 20 au 23 mai
Centre Culturel André Malraux, Scène Nationale Vandoeuvre les Nancy
les 4 et 5 juin
D’accord avec votre critique, mais les fulgurances des acteurs dépassent la sensation d’inachevé. Par exemple lorsque Jérôme Chaudière nous dit » ce sont les mains qui sont le miroir de l’âme; il faut leur raconter des histoires pour qu’elles ne soient pas orphelines ».