Co-fondateur du collectif Ivan Mosjoukine, dont l’unique spectacle De nos jours [notes on the circus] a marqué les arts de la piste, Erwan Ha Kyoon Larcher crée son premier spectacle personnel. Un surprenant solo où, pour dresser son autoportrait, l’artiste déploie des actes qui vont bien au-delà du cirque.
On sait Erwan Ha Kyoon Larcher circassien depuis De nos jours [notes on the circus] du collectif Ivan Mosjoukine, créé en 2011. Par sa participation en tant qu’interprète auprès d’artistes très divers – notamment Christophe Honoré, Cédric Orain, Philippe Quesne et Clédat et Petitpierre –, on lui a ensuite découvert des talents de comédien et de danseur. Et son projet Tout est beau a révélé sa capacité à se faire homme-orchestre. Dans Ruine, créé au 104 dans le cadre du festival Les Singuliers, on est d’emblée saisi par une nouvelle facette de cet artiste curieux, ouvert à toutes les disciplines : sa familiarité avec les arts plastiques. Potence, petit carré d’herbe sur sol blanc, plante verte ou encore jarres à la silhouette antique, briques en ciment, flèches suspendues aux murs, boîtes d’œufs… Avec une carapace de tortue géante dressée à la verticale, qui semble régner sur cet ensemble hétéroclite, le plateau est plus proche de l’installation que du délabrement suggéré par le titre.
Erwan Ha Kyonn Larcher refuse d’être là où on l’attend. Et il le dit dans Ruine d’une façon bien à lui, ouvertement nourrie par toutes ses expériences passées. Dernier des artistes d’Ivan Mosjoukine à se lancer dans une création circassienne personnelle – Vimala Pons et Tsirihaka Harrivel ont ouvert le bal avec Grande (2016), suivis par Maroussia Diaz Verbèke avec Circus remix –, il poursuit comme les autres la quête d’un nouveau cirque en prise avec le monde initiée avec De nos jours [notes on the circus]. Il opte pour un portrait. Celui, dit-il dès les premières minutes, d’« un artiste né dans les années 80, qui déteste le monde parce qu’il l’aime ». Suite à quoi il n’utilisera plus sa voix que pour interpréter les quelques morceaux qui ponctuent le solo. La suite d’« actes » – Erwan Ha Kyoon Larcher préfère ce terme à celui de « numéro » – qui composent Ruine pourront ainsi être compris comme autant de questionnements d’une identité complexe.
À rebours des listes, des énumérations auxquelles il se livrait dans la création du collectif, et de celles qui constituent aussi Grande, Erwan Ha Kyoon Larcher procède par soustraction. Interprétant les conseils, les énigmes dignes du Yi-King – ou Livre des mutations, texte chinois ancestral dont le fonctionnement ludique et divinatoire l’a inspiré –, que formule la carapace-oracle dès qu’il la perce de ses flèches, ses actes sont les étapes d’un retour à soi. D’un abandon du superflu. D’un acte à l’autre, l’espace quasi-muséal se transforme. Le feu, l’eau, les cailloux ou le béton que manie presque solennellement l’artiste donnent vie au plateau. Ils en révèlent les voix, car dans Ruine, même les plantes vertes ont le don de parole. Ils participent d’une sorte d’animisme contemporain, par lequel Erwan échappe au tragique, et atteint une forme d’absurde nourri par une subtile autodérision.
Même l’idée de suicide, qui traverse le solo, est traitée sans pathos. Comme le signe d’un regard inquiet sur l’époque, comme une alerte, plutôt que de manière littérale. En étirant l’heure que dure son spectacle, en laissant s’installer le silence entre deux actes, Erwan laisse le temps du décryptage. Ruine ne se déploie par pour rien autour d’une carapace de tortue : éloge de la lenteur à une époque de courses, il pousse loin le rejet de la performance. Et donc le questionnement du cirque, que chacun de ses actes tend à préciser. À reformuler.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Ruine
Ecriture – mise en place – interprétation : Erwan Ha Kyoon Larcher
Musique – son : T o u t E s t B e a u
Régie générale / son : Enzo Bodo
Création lumière : Vera Martins
Costumière : Ann Williams
Artificière : Marianne Le Duc
Remerciements à Julien Vadet pour son aide technique
Production déléguée : Le CENTQUATRE-PARIS
Coproduction : Le Monfort théâtre
Avec le soutien de Nanterre-Amandiers, centre dramatique national et de l’Espace Périphérique (Mairie de Paris – Parc de la Villette)
Ce spectacle est en tournée avec le CENTQUATRE ON THE ROAD.Durée : 1h10
Le CENTQUATRE-Paris
Du 19 janvier au 2 février 2019
Le Monfort
Du 13 au 23 mars 2019
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