Le duo féminin plein d’esprit et d’iconoclastie que forment la cheffe Emmanuelle Haïm et la chorégraphe Robyn Orlin revisite deux raretés baroques, Pygmalion de Rameau et L’Amour et Psyché de Mondonville dans une forme scénique aussi bien ludique que critique.
Ce n’est pas la première fois que Robyn Orlin rencontre l’opéra baroque et y fait des étincelles. Dans le sacro-saint Palais Garnier, elle s’attaquait en 2007 à L’Allegro, il Penseroso ed il Moderato de Haendel et lui confrontait ce qui continuellement irrigue son travail, à savoir la notion de détournement et de perversion de tout ce qui constitue la domination culturelle occidentale, et ce avec autant de militantisme que d’irrévérence.
Moins politique mais tout autant joyeusement offensif, le diptyque proposé d’abord à l’Opéra de Dijon puis en ce moment à Lille avant Caen et le Luxembourg, lie deux courtes pièces autour des thèmes de l’amour et de la création artistique. C’est d’ailleurs dans un atelier d’art contemporain avec ses longues tables à dessin et ses modèles survoltés, puis sur un plateau de tournage que se jouent les deux opus.
Sur un argument plutôt mince mais valorisé par une musique absolument somptueuse et généreuse, Pygmalion raconte l’amour que porte un sculpteur à la statue qu’il façonne et qui finit par prendre vie. Il n’y a pas de sculpture sur scène mais des modèles féminins en chair et en os avec lesquelles Pygmalion (transformé en artiste plasticien et vidéaste égocentrique réalisant un collage photographique à partir de corps vivants) n’entretient pas des relations très me too. Reinoud Van Mechelen est exemplaire dans le rôle-titre, en témoigne la beauté et la précision de sa ligne de chant et sa déclamation pleine de style et de musicalité virtuose. Le personnage accède à la gloire en chantant le règne de l’Amour dans un gala mondain où les membres du chœur, look de hipsters et coupette de Champagne en main, se dandinent sur les accents ramistes très pêchus.
Dans cet acte de ballet comme dans l’extrait qui suit du ballet héroïque des Fêtes de Paphos, ni le chant ni la danse ne se disputent la première place. C’est la vidéo qui l’occupe largement puisque Robyn Orlin a choisi de suivre le procédé du realtime movie. Des caméras filment en direct les interprètes, les incrustent sur des images déjà préenregistrées et projettent le tout sur des écrans de grande taille. Dans la deuxième pièce, le film réalisé s’inspire de l’industrie du clip vidéo et du spot publicitaire mâtinés d’airs bollywoodiens. C’est un foisonnement permanent qui prend une tournure franchement carnavalesque et transgenre avec une exubérance kitsch et une ironie caractéristiques du travail d’Orlin. Victor Sicard campe une impayable Tisiphone. Les rôles féminins pleins d’agilité combinent fougue scénique et élégance vocal. Les danseurs sont à la fête.
Il y a beaucoup d’idées dans le travail que propose Robyn Orlin, et comme souvent chez elle, la forme prête à confusion par son emballement et son éparpillement. Fidèle a elle-même, elle prend le parti esthétique de cumuler les références, parasiter les motifs, c’est sa marque de fabrique.
A la tête de son Concert d’Astrée, c’est un Rameau et un Mondonville fort bien enlevés que dirige Emmanuelle Haïm. Elle offre une exécution des plus vives, des plus toniques, extrêmement charnue et vigoureuse des partitions. Elle en assume la part de spectaculaire, de lyrisme, de sensualité et même parfois de prosaïsme, c’est à la fois raffiné et corsé.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Pygmalion
Acte de ballet de Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Livret Sylvain Ballot de Sauvot
&
L’Amour et Psyché (3e acte des Fêtes de Paphos)
Divertissement en un acte de Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville (1711-1772)
Livret Claude-Henri de Fusée de VoisenonDirection musicale Emmanuelle Haïm
Mise en scène et chorégraphie Robyn OrlinDécors Maciej Fiszer
Costumes Sonia de Sousa
Lumières Laïs Foulc
Vidéo Eric Perroys
Chef de choeur Xavier Ribes
Assistant à la direction musicale Atsushi SakaiAvec
Pygmalion Reinoud Van Mechelen
Céphise / Vénus Samantha Louis-Jean
L’Amour / Amour Armelle Khourdoïan
La Statue / Psyché Magali Léger
Tisiphone Victor SicardDanseurs Enrico Wey, Wanjiru Kamuyu, Fana Tshabalala, Albert Khoza, Oupa Sibeko
Choeur et orchestre Le Concert d’Astrée
Durée : 2h30
Opéra de Lille
Janvier 2019 : Me 16 (20h), ve 18 (20h), di 20 (16h), ma 22 (20h), je 24 janvier (20h)
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