Yasmina Reza a carte blanche à la Scala pendant ce mois de novembre. Elle met en espace des lectures-piano de son Hammerklavier (Prix de la nouvelle de l’Académie Française en 1997) avec d’illustres comédiennes (Nicole Garcia, Carole Bouquet, Nathalie Baye…). Elle est aussi comédienne dans la reprise de Dans la luge d’Arthur Schopenhauer avec une belle distribution.
Lorsqu’elle écrit en 2005, Dans la luge d’Arthur Schopenhauer, ces monologues sur l’existence de quatre personnages, Yasmina Reza n’image pas en faire un spectacle. Un an plus tard, Frédéric Bélier-Garcia met en en espace ce texte à théâtre Ouvert avec André Marcon, Maurice Bénichou, Christèle Tual et Yasmina Reza. Le spectacle renait en 2018. Jérôme Deschamps rejoint l’aventure et reprend le rôle créé par Maurice Benichou.
Le théâtre repose sur trois piliers : “la parole, le comédien, le spectateur“ fait dire Bergman à son metteur en scène dans Après la répétition (actuellement au Théâtre de la Bastille). C’est exactement ce qui se passe à la Scala. Frédéric Bélier-Garcia a eu la bonne idée de briser le quatrième mur, pour que les spectateurs enserrent les comédiens dans un dispositif en tri-frontal, pour entrer au plus près dans la parole et les réflexions intimes des personnages.
L’écriture de Yasmina Reza sonde l’intériorité de l’âme. Ses personnages sont en détresse, névrosés, solitaires. Elle incarne avec une aisance incroyable une femme dont l’amour pour son mari s’émousse peu à peu. Elle le décrit dans un “isolement mental”. Lui le misanthrope des temps modernes (André Marcon) qui ne “supporte plus les hommes du dehors”. Le formidable Jérôme Deschamps défend avec une belle fougue le Made in France, baskets Coq Sportif aux pieds, c’était bien avant Arnaud Montebourg.
Yasmina Reza parvient dans le même texte à parler des petites choses de la vie, d’une orange que l’on épluche, de fraises que l’on mange à la fourchette et évoque les grands noms de la philosophie avec une belle ironie. Deleuze qui “ n’a pas été aidé par Spinoza quand il s’est jeté par fenêtre” ; Althusser qui a “ tué sa femme en robe de chambre” et bien sûr Arthur Schopenhauer.
Dans ce spectacle on se délecte du jeu des comédiens tous brillants, servis par une langue imaginative et nerveuse, truffée de petites pépites : “Les afghans ne peuvent pas devenir en un an les électeurs suisses”, “La frivolité nous sauve”, “Les fabricants réglementent nos vies et nos désespèrent.” Et comment ne pas évoquer la réplique savoureuse dans la bouche de Jérôme Deschamps : “Je suis beaucoup plus heureux depuis que j’ai renoncé au sexe, sais-tu. Quand tu as vu de près copuler des cochons, tu ne peux pas t’illusionner sur le sexe.” Yasmina Reza est au firmament de l’écriture surréaliste.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Dans la luge d’Arthur Schopenhauer
de Yasmina Reza
Mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia
[Théâtre]
Avec Yasmina Reza, Christèle Tual, Jérôme Deschamps et André Marcon
Frédéric Bélier-Garcia, mise en scène
Jacques Gabel, scénographieProduction
Le Quai Centre dramatique national des Pays de la Loire à Angers.Coproduction
La Scala Paris – Les Petites Heures
Durée: 1h30Création du spectacle au Quai, du 15 au 27 octobre 2018.
La Scala de Paris
Du 31 octobre au 24 novembre 2018
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