Avec la complicité scénique d’Anne Bouvier, Stéphane Guérin concocte un dîner haut en couleurs où six personnages en quête de vie envoient valdinguer la bienséance. Exaltation corrosive de leurs tourments, ce déversoir intime s’arrête aux portes du réflexif.
Ils sont six, ce jour-là, à la table d’Hélène. Dans sa maison aux vitres sales, la femme a tenu à organiser un grand dîner pour réunir ses proches, sorte de famille élargie où son ex-conjoint, sa fille et son ami, ainsi que trois intimes du cercle familial, se tiennent côte à côte. Difficile de savoir s’il s’agit d’un repas de retrouvailles ou d’adieux, si les convives, sous leurs airs ectoplasmiques, sont bien vivants ou déjà morts, tels des fantômes invoqués pour leur permettre de se libérer, une dernière fois. Tous se connaissent par cœur et, entre eux, les canons de la bienséance se sont volatilisés.
Leurs adresses sont crues, directes, sans filtre. Sous le regard attendri d’Hélène, Judith, Sarah, Dick, Franck, Mattias et Thomas se parlent, échangent et, surtout, règlent leurs comptes. Par bribes de pensées hautement déstructurées, ils soliloquent et s’invectivent pour faire le bilan d’une vie et de ses errances. Comédienne grandiloquente, obsédée par la Shoah, Judith se perd dans son égocentrisme que seule l’ombre de sa fille Charlotte, qu’elle a eue lors d’une histoire passagère avec Mattias, semble pouvoir éclipser. Son ancien compagnon, Thomas, aigri de ne pas être le père biologique de l’enfant qu’il a élevé, est l’antithèse de son frère Dick. Homosexuel, il éponge sa solitude dans sa complicité avec Sarah, un médecin que Franck, abîmé par la dépression, avait consulté pour tenter de régler les problèmes d’alcool d’Hélène.
Dressée au fil de la plume de Stéphane Guérin, servie par la mise en scène raffinée d’Anne Bouvier, cette Cène en miniature n’a rien d’œcuménique. A grands renforts de mots d’esprit, qui manquent souvent de finesse, et de blagues, un peu éculées, cette kyrielle de naufragés cherche à dynamiter la bien-pensance. Creuset d’un jeu très appuyé, quasi parodique, la direction d’acteurs surligne les traits déjà inutilement caricaturaux des personnages – l’homosexuel atteint d’une maladie vénérienne, la jeune femme juive qui vend l’alliance de son père pour payer son loyer et s’engage, dans toute sa boboïtude, comme médecin international pour sauver le monde.
Contrairement à La Truite de Baptiste Amann, récemment mise en scène par Rémy Barché, ou aux multiples pièces de Marius von Mayenburg, jamais le propos, flottant, hésitant, parfois obscur, de cette famille de Kamikazes ne parvient à atteindre une quelconque dimension réflexive, à sortir de l’intime pour toucher le commun. Malgré la performance engagée des sept comédiens, la corrosivité affichée devient presque banale et s’arrête au milieu du gué du délire ironique et foutraque dans lequel elle pourrait joyeusement s’embarquer. Sans perte, ni profit, le dîner tombe alors un peu à plat et laisse les personnages pris au piège du purgatoire de leurs tourments.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Kamikazes
Auteur : Stéphane GUÉRIN
Mise en scène : Anne BOUVIER
Avec : Raphaëline GOUPILLEAU, David BRÉCOURT, Valentin de CARBONNIÈRES, Julie CAVANNA, Pascal GAUTIER, Pierre HÉLIE, Salomé VILLIERS
Collaboration artistique : Pierre HÉLIE
Lumière : Denis KORANSKY
Scénographie : Emmanuel CHARLES
Costumes : Caroline Martel
Musique originale: Raphaël SANCHEZ
Production : Jérôme RÉVEILLÈRE
Communication : Dominique LHOTTE
Diffusion : Fabienne RIESER
Relations Presse : Pascal ZELCER
Production THÉÂTRE BUFFON – ON VA PAS SE MENTIR, coproduction ZOAQUE 7
Ce texte est lauréat de la Commission nationale d’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCENA
Durée: 1h20Avignon Off 2018
Théâtre Buffon
Du vendredi 6 au dimanche 29 juillet à 21h35
Relâches les mardis 10, 17, 24 Durée : 1h20
N’allez pas voir Kamikazes.
Je ne comprends pas comment dans un pays de Théâtre comme le notre une telle pièce peut être jouée à guichet fermée au festival d’Avignon.
Je vous cite deux répliques comiques pour vous donner un aperçu du niveau d’humour. Au bout de trois minutes, une femme s’exclame – sans que cela ait à voir avec le propos (qui est bien difficile à cerner…) « j’ai toujours confondu le cunnilinctus et le cumulonimbus »… Vers la fin, un homme demande, en criant, « qui a éjaculé dans l’omelette norvégienne ? »… Il faut aussi rapporter cette évocation incessante de la Shoah dont on ne comprend pas bien l’intérêt ni le sens, couplée aux clichés de toutes sortes (un homme homosexuel qui finit par mourir d’une infection sexuelle, une femme juive qui vend l’alliance de son père pour payer son loyer – limite, limite…).
J’aurais voulu quitter la salle dès les premiers instants mais par politesse et respect pour les acteurs je ne l’ai pas fait : cette heure et ces vingts minutes furent des plus pénibles.
Tout à fait d’accord !
C’est peut être parce que vous pensez que notre pays est un pays de tradition théâtrale rempli de codes obsolètes que vous ne comprenez pas le texte de cette pièce. Son regard oblique, pertinent et donc rafraîchissant on le retrouve plus fréquemment dans nos pays voisins comme la Belgique, l’Allemagne ou l’Angleterre. Enfin un auteur Français qui parle avec son propre langage: libre, pertinent et jubilatoire. Vive Stéphane Guérin !