Du roman immersif de François Declerck, consacré au quotidien des SDF parisiens, le metteur en scène et son comédien, François Cottrelle, font un témoignage dur et humain à la fois.
Le plateau du Théâtre des Bouffes du Nord s’est transformé en territoire hostile, dévasté. A l’avant-scène, des monticules de sable qui, peu à peu, semblent engloutir tout ce qui se trouve sur leur passage, carcasse de voiture comprise ; à l’arrière-scène, la proue rongée par la rouille d’un bateau qui, aussi majestueux qu’inquiétant, a dû s’échouer là il y a de nombreuses années déjà. Tel un Robinson des temps modernes, la peau sale, les pieds nus et vêtu de haillons, François Cottrelle s’avance, avec la démarche bringuebalante et lasse de ceux qui portent le poids du monde sur leurs épaules. « C’est l’odeur dont je me souviendrai le plus longtemps », assène-t-il d’emblée, comme pour poser les bases d’un témoignage que l’on pressent déflagrateur.
Ces mots, ce sont ceux de Patrick Declerck. Écrivain, philosophe et psychanalyste, l’homme a passé une partie de sa vie au contact des SDF, les « clochards » comme il les appelle, « faute de mieux ». Étudiant, il n’a pas hésité à se grimer pour se faire embarquer avec eux jusqu’au centre d’hébergement d’urgence de Nanterre ; adulte, il a ouvert au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers de Nanterre la première consultation d’écoute qui leur est destinée. De cette expérience immersive, il a tiré un livre intitulé Les Naufragés, avec les clochards de Paris (Plon) qu’Emmanuel Meirieu a eu la formidable idée d’adapter, pour « continuer à raconter au théâtre les histoires oubliées de ceux qui ne sont rien ».
Une telle démarche aurait pu aboutir à un spectacle misérabiliste, excessivement compatissant, volontairement larmoyant. Il n’en est rien. Le regard porté sur ces « naufragés » par Patrick Declerck est de ceux qui disent la réalité sans jamais l’esquiver, y compris dans ses recoins les plus sombres. Ce cheminement a conduit le psychanalyste aux frontières de l’humanité, dans un espace où des femmes et des hommes sont lavés au jet d’eau et au balai-brosse, où des policiers laissent une femme se faire violer au vu et au su de tous dans un bus de ramassage, où une autre cherche à tomber enceinte pour « toucher le pactole ». En préambule, il l’avoue d’ailleurs sans ambages. « Je les ai haïs la plupart du temps », assure-t-il, avant de se souvenir de Raymond, cet homme mort par excès d’humilité, à qui la liberté forcée a paradoxalement coûté la vie.
Ces histoires d’une dureté sans pareille, François Cottrelle les affrontent tel un marin qui se servirait du flux et du reflux des vagues littéraires. Tantôt froid, tantôt imprégné, mais jamais affecté, son jeu traduit parfaitement l’attitude de Patrick Declerck qui a su, toujours, se tenir à saine distance de cette extrême misère, non sans y laisser une large part d’humanité. Ciselé sur-mesure par Emmanuel Meirieu, le texte a la force subjuguante du naturel qui fait fonctionner l’illusion théâtrale à plein, et lui donne la saveur du réel, sans chercher à le singer. Parfois parasitée par un dispositif sonore qui, au soir de la première aux Bouffes du Nord, ne semblait pas encore tout à fait ajusté, presque erratique, la voix de François Cottrelle sait se faire glaçante et humaine à la fois. Sur ces « naufragés » que l’on aperçoit au quotidien, on portera désormais, grâce à cette performance, un tout autre regard.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
Les Naufragés
d’après Les Naufragés, avec les clochards de Paris de Patrick Declerck
Mise en scène Emmanuel Meirieu
Avec François Cottrelle et Stéphane Balmino
Adaptation François Cottrelle et Emmanuel Meirieu
Musique Raphaël Chambouvet
Costumes Moïra Douguet
Maquillage Roxane Bruneton
Lumière, décor, vidéo Seymour Laval et Emmanuel Meirieu avec la collaboration de Jean-Michel Adam
Son Raphaël GuenotProduction Bloc Opératoire, Théâtre Comédie Odéon Lyon
Coproduction Les Nuits de Fourvière
La compagnie Bloc Opératoire est conventionnée par la Drac Rhône Alpes. Avec le soutien de la Région Auvergne Rhône Alpes, la Ville de Lyon
Production déléguée en tournée C.I.C.T. – Théâtre des Bouffes du Nord & Bloc OpératoireDurée : 55 minutes
Théâtre des Bouffes du Nord, Paris
du 12 septembre au 2 octobre 2019Théâtre de Namur, Belgique
du 8 au 12 octobreLa Criée – Théâtre National de Marseille
du 16 au 19 octobreThéâtre du Beauvaisis, Beauvais
le 29 novembreLa Maison, Nevers – Scène conventionnée Arts en territoire en préfiguration
le 14 janvier 2020La Machinerie – Théâtre de Vénissieux
le 24 janvierLes Scènes du Golfe –Théâtre Anne de Bretagne, Vannes
le 4 févrierThéâtre l’Aire Libre à Rennes / Saint-Jacques-de-la-Lande
les 6 et 7 févrierThéâtre de Bourg-en-Bresse
le 19 févrierThéâtre de la Cité – CDN Toulouse Occitanie
du 25 au 27 févrierThéâtre La Colonne / Scènes et Cinés, Miramas
le 10 marsThéâtre du Bois de l’Aune, Aix-en-Provence
du 12 au 14 marsLe Liberté – Scène nationale de Toulon
les 20 et 21 marsLe Salmanazar, scène de création et de diffusion d’Épernay
le 24 marsÉquinoxe, Scène nationale de Châteauroux
le 30 marsL’Arc, Scène nationale Le Creusot
le 9 avril
DSN – Dieppe Scène Nationale
le 14 mai
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