Danse, théâtre mais aussi arts plastiques, jazz, design… Le service culturel de l’Ambassade de France aux États-Unis est de tous les combats artistiques. Depuis New York, capitale Américaine des arts vivants, une équipe à l’effectif aussi réduit que sa motivation est grande, travaille d’arrache-pied pour faciliter les échanges entre deux pays qu’un océan sépare. En février, Paul Desveaux est venu (re)créer la pièce Pollock de Fabrice Melquiot avec les acteurs Jim Fletcher et Birgit Huppuch, et David Lescot était invité pour orchestrer une lecture de la traduction américaine de Mon Fric.
En bordure de Central Park, à l’angle de la 5e avenue et de la 79e rue, se dresse le bâtiment du service culturel de l’Ambassade de France. Albertine, l’unique librairie française de la Grosse Pomme, est installée au rez-de-chaussée. A la mi-février, dans l’escalier d’honneur qui conduit au premier étage, on entend le bruit sourd d’acteurs qui répètent : David Lescot est en résidence depuis une semaine. Il adaptate Mon Fric en anglais, dans le but de créer une nouvelle version du spectacle dans les années qui viennent. Une lecture est donnée le lendemain après-midi, face à un public de quelques dizaines de personnes, les échanges qui en découlent sont denses.
Plus haut dans ce bâtiment acquis par la France au début du XXe siècle, de petits bureaux vieillis au chauffage vacillant se succèdent. L’un d’entre eux est occupé par Rima Abdul-Malak, attachée culturelle de l’ambassade pour quelques mois encore…
La mission de son service est claire : « diffuser la culture française vers le public américain », mais rien n’indique que cet objectif doit être rempli en français ! A l’image de cette Nuit de la Philosophie organisée depuis 2015 et qui s’est tenue cette année à la Brooklyn Public Library. Elle a rassemblé plusieurs milliers de personnes venues écouter des philosophes et des penseurs, notamment hexagonaux, s’exprimant en anglais. Leur culture n’en est pas moins française.
Ce choix de langue a beaucoup d’impact sur les arts de la scène qui sont aussi, souvent, des arts du texte. Rima Abdul-Malak explique l’importance de ce parti-pris : « dans un pays où le public n’est pas familier des surtitres, nous faisons le maximum pour être attractifs », cela entraîne ainsi un « important travail de traduction » et permet de créer des spectacles avec des acteurs américains : « il n’est pas rare que l’on réussisse à mener un projet à bien, justement grâce à la présence d’acteurs américains qui, par leurs noms, donnent de la visibilité aux projets ».
Des acteurs qui, à la vue des prestations aperçues à New York le temps d’un week-end, apporteraient une diversité supplémentaire et une énergie différentes de celle des comédiens européens lors de leurs passages en France. Car, finalement, rares sont les productions du Vieux-Continent qui incluent des acteurs d’outre-Atlantique…
Auteurs vivants
Le service culturel de l’Ambassade lance régulièrement un appel à projet pour recevoir des propositions d’artistes de France. Le processus met en avant « en priorité la création contemporaine et, de préférence, les projets dont l’auteur est vivant ». Une fois choisis, la première étape du dossier est la traduction du texte puis l’aide au choix des comédiens par l’organisation de castings et enfin plusieurs séjours de résidence. Parmi les précédents lauréats du dispositif : Arthur Nauzyciel, Pascal Rambert, Olivier Letellier, Philippe Quesne… Le service culturel va aussi accompagner la venue de Joël Pommerat à New York en mars avec Le Petit Chaperon Rouge dans le festival jeune public Tilt, créé par Rima Abdul-Malak à son arrivée à New York il y a quatre ans, en partenariat avec le French Institute – Alliance Française. En 2019, dans le même cadre, Olivier Py montera une version en langue anglaise de La Jeune fille, le diable et le moulin. Tous ces artistes, pour certains très connus en France et en Europe, ne le sont pas ou très peu aux États-Unis.
La voie du service culturel pourrait sembler tracée et sans embûches, mais une fois les projets choisis et un minimum encadrés, le véritable combat commence : « nous ne sommes pas un lieu d’accueil de spectacles, mais un service de coopération : nous sommes obligés de trouver des lieux sur tout le territoire Américain où pourraient être joués les projets que nous soutenons et, dans la mesure du possible, trouver des lieux en France pour accueillir ces projets dans des festivals ou des saisons ». Aux États-Unis, la culture est une affaire privée et les subventions éventuelles viennent de donateurs fortunés : il n’y a donc aucune garantie que le projet, une fois conçu, puisse se retrouver sur les planches. Pourtant, le service culturel met tout en œuvre pour y parvenir et, dans la plupart des cas, ça marche ! Aucun moyen humain n’est négligé : rencontrer les directeurs de salle, organiser la venue de programmateur à Paris pour découvrir le travail d’une compagnie, levée de fonds par l’intermédiaire de FACE (French American Cultural Exchange, fondation de droit privé gérée par le service culturel)… Voilà aussi le quotidien besogneux de Rima Abdul-Malak et de son équipe.
Jackson Pollock
L’un des derniers projets soutenu est Pollock de Fabrice Melquiot et mis en scène par Paul Desveaux. Le spectacle est joué jusqu’au 25 février au Abron Arts Center de New York avec Jim Fletcher et Birgit Huppuch. Cette nouvelle production arrive presque 10 ans après la première version, française, montée avec la même équipe, à l’exception des acteurs. Après New York, le public français découvrira le duo au festival Terre de Parole en Normandie en 2019.
Cette pièce a une histoire particulière avec la Grosse Pomme : Paul Desveaux a eu envie de monter la vie de Pollock après une visite au MoMa en 1998. En 2007, il demande à Fabrice Melquiot d’en écrire le texte, ce dernier s’intéressera à la figure du peintre mais aussi et surtout à celle de Lee Krasner, sa femme elle aussi artiste et aujourd’hui bien moins connue que son illustre époux. Melquiot a voulu retranscrire une ambiance, sans début et sans fin : l’impression d’une époque.
Le cadre est celui d’un atelier New Yorkais des années cinquante. Jim Fletcher, sosie de Pollock par un heureux hasard, habite son espace avec la même fureur que celle que l’on pourrait prêter à cette figure qui incarne mieux qu’aucun autre l’action painting. Le jazz résonne en fond, les acteurs parlent parfois sur la musique créant une sorte de swing entêtant où la puissance vocale des comédiens fleurit sur chaque note. Les micros à cour et à jardin sont employés pour invectiver le public. Dans ce flot vocal se dessine une relation des plus artistiques où le génie est un malaise lié à l’enfance.
Jim Fletcher et Birgit Huppuch apportent une profondeur et une violence toute américaine à leurs personnages. On est fasciné par la relation qui les unit, Melquiot et Desveaux montrent la femme derrière le génie, éclipsée dans un sacrifice artistique conscient et, forcément, la peinture jaillit. Ce spectacle est à l’image de l’action entreprise par l’équipe de français à New York : engagé, dynamique, étonnant et réussi.
Hadrien Volle envoyé spécial à New York – www.sceneweb.fr
Pollock de Fabrice Melquiot et mis en scène par Paul Desveaux
En tournée en France
24 & 25 avril 2019 • L’Etincelle • Rouen
30 avril 2019 • Le Rayon Vert • St Valéry en Caux
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