Perdre le Nord de Marie Payen est un voyage en solitaire. Une errance poétique de la comédienne entre sa langue et celle de l’Autre. Celle de l’exilé. Du rejeté.
Pour Marie Payen, la scène est un bûcher ou un radeau en dérive. Un lieu où l’on se consume, où l’on s’enfonce pour trouver, peut-être, de quoi renaître. La force d’esquisser un pas de côté. Une poignée de mots tremblants car « indicibles, inaudibles » partout ailleurs. Une suite de phrases qui bousculent la langue de tous les jours. Celle de la pluie et du beau temps. Celle des journaux et des réseaux sociaux. Après Je brûle (2015), monologue improvisé autour d’un père que la comédienne n’a pas connu, Perdre le Nord est une épopée en solitaire construite à partir de rencontres avec des réfugiés. Une expérience personnelle qu’elle nous fait le plaisir de partager.
Créée à Rouen au CDN de Haute-Normandie, qui en assure la production déléguée, cette singulière traversée sera aussi au programme du CDN de Valence puis d’Orléans. Cela dans le cadre du temps fort « Les Soli », aux côtés de La Recherche d’Yves-Noël Genod, de Savoir enfin qui nous buvons de Sébastien Barrier, de Pourama Pourama de Gurshad Shaheman et de 2 ou 3 choses que je sais de vous de Marion Siéfert. Une belle et hétéroclite compagnie pour Marie Payen, dont la parole évolue hors des chemins balisés du théâtre. Sans auteur ni metteur en scène au sens classique, Perdre le Nord est en effet une échappée hors de nos codes de représentation habituels. Une performance proche du conte, dont les figures sont avant tout des êtres de langage.
Le torse nu, enveloppé dans une grande bâche en plastique, Marie Payen entre sur scène comme sur un pont branlant. Sur la pointe des pieds, l’air d’hésiter entre le ciel et la mer. Ses mots ont la même fragilité. Afin de se frayer un chemin dans l’« histoire noyée de l’eau rouge sang des mers d’orient » et dans « les larmes des parents perdus », elle a décidé de ne pas écrire de texte. Perdre le Nord a donc liberté du jazz. À partir d’une structure définie, accompagnée par les compositions de Jean-Damien Ratel interprétés en direct, la comédienne cherche chaque soir des mots nouveaux pour dire l’exil. Sujet plein de « l’oubli des naufrages », qui met le corps et le langage à vif. Au-delà du jeu.
Penchée sur un cercle lumineux qui perce le sol, Marie Payen semble y puiser sa force et sa poésie. Son étrangeté héritière de différents mythes, pleins depuis toujours de traversées et de naufrages. De douloureux exils. Avec sa voix rauque, ses gestes et sa parole comme empêtrés dans des obstacles invisibles, l’artiste se place en effet dans la lignée des légendes d’errances. Dans le sillage, régulièrement entretenu au théâtre, laissé par Œdipe ou encore par Iphigénie, Marie Payen campe une sorte de Pythie battue par les vents – ceux d’un ventilateur installé près de la source de lumière.
« Entre avec ton idée de langage. Entre, analphabète. Entassez-vous. Comblez-vous les uns dans les autres », dit-elle par exemple dans la première partie de son monologue. À travers son oracle, c’est la vieille Europe qui parle. Cruelle, prête à tout pour survivre, mais marquée dans sa parole par la présence de l’étranger, à qui elle laisse d’ailleurs place après un petit rituel chanté et dansé. Allongée, Marie Payen n’incarne guère plus le réfugié que l’Europe. Elle se contente d’utiliser un langage bricolé. Ou plutôt de l’accueillir, comme absente à elle-même. Grâce à la collaboration de Leila Adham, l’arabe s’invite avec bonheur dans sa logorrhée, sans la rendre exotique ni la lester d’aucun pathos. « Tu viendras prendre un milkshake à Jupiter », conclut-elle en oracle-migrant. L’invitation est lancée.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Perdre le Nord
Un spectacle imaginé, conçu et avec Marie Payen
En étroite collaboration avec Leila Adham
Création son : Jean-Damien Ratel
Création lumière : Hervé Audibert
Production déléguée : Centre Dramatique National de Normandie-Rouen
Coproduction : Compagnie Un+Un+
4 au 29 décembre 2019 : Théâtre du Rond-Point
HORAIRES : DU MARDI AU SAMEDI, 20H30 – MARDI 24 DÉCEMBRE, 18H30 – DIMANCHE, 15H30 – RELÂCHE : LES LUNDIS ET LES 8 ET 25 DÉCEMBRE
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