Créé à Munich, Warum läuft Herr R. Amok ? de Suzanne Kennedy, d’après un film réalisé par Fassbinder et Fengler, est une pièce glauque et loufoque qui pointe avec une géniale impertinence l’immobilisme et la fausseté de vies ordinaires déshumanisées.
En France, Susanne Kennedy est une découverte. Le Théâtre Nanterre-Amandiers présente pour la première fois le travail étonnant et singulier de cette artiste, metteuse en scène associée cette saison à la nouvelle Volksbühne de Berlin, qui fait beaucoup parler sur les scènes allemandes et hollandaises. Son art se base sur la déformation à visée critique d’une réalité médiocre et stéréotypée. Dans une représentation volontairement sans attrait, l’univers déployé, anodin qu’en apparence dit, avec beaucoup d’humour et d’ironie, le vide d’existences étales, petite-bourgeoises, conformistes et contrefaites, soumises à l’inaction, l’oppression, l’aliénation de la banalité. La scénographie de Lena Newton, une sorte d’enclave lambrissée, les costumes très rétro de Lotte Goos, les corps inertes des comédiens végétatifs, proches de l’athymie, tout met l’accent dans le spectacle sur l’immobilisme d’un quotidien sans aspérité, celui de M. R., un type banal qui en vient à assassiner son entourage.
A son image, tous les personnages se présentent sans relief et pourtant menaçant dans leur petite boîte uniforme qui fait office de rue comme de café, de salon et de bureau. Ils s’animent, échangent des bribes de dialogues fastidieux, des répliques plates et platement restituées comme dans de mauvaises séries ou les méthode Assimil. Avec une économie totale de gestes, de regards, de déplacements, les formidables comédiens des Kammerspiele sèment le trouble, voir l’effroi. Tous jouent le visage couvert d’un masque couleur chair, une seconde peau aux traits figés et fatigués qui donnent aux individus empruntés l’allure de mannequins stoïques. Privés de leurs expressions faciales, ils n’ont pas plus recours à la voix puisqu’ils donnent le texte en playback.
On n’imaginait pas le cinéma brute et social-réaliste de Fassbinder pouvant être aussi proche du théâtre de l’absurde. Ce cousinage est bien sûr favorisé par les parti pris radicalement distanciés de Susanne Kennedy dont l’artifice, loin d’être vain, désarçonne et passionne.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Warum läuft Herr R. Amok? (Pourquoi M. R. est-il atteint de folie meurtrière?)
Mise en scène Susanne Kennedy
D’après le scénario de Rainer Werner Fassbinder & Michael FenglerAvec les comédiens des Kammerspiele
Suzanna Boogaerdt, Walter Hess, Christian Löber, Edmund Telgenkämper, Anna Maria Sturm
Et
Manuela Clarin, Kristin Elsen, Renate Lewin, Sibylle Sailer, Ingmar Thilo, Herbert VolzScénographie
Lena NewtonCostumes
Lotte GoosCréation son
Richard JanssenVidéo
Lena Newton, Ikenna David OkegwoLumière
Jürgen KolbDramaturgie
Koen TacheletProduction
Münchner Kammerspiele
Avec le soutien du Goethe Institut
Durée 2h10Nanterre – Amandiers
Du 25 au 28 janvier 2018
Jeu., ven. à 20h30
Sam. à 18h
Dim. à 15h30
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