En s’emparant du Direktør (2006) de Lars von Trier, Oscar Gómez Mata cherche à atteindre à la pensée par l’humour. Il s’égare dans une comédie agitée. En ce moment au Théâtre de la Bastille.
Alors que Lars von Trier proclamait la fin du Dogme 95 il y a plus de dix ans, les films du célèbre mouvement ont la côte au théâtre. Cyril Teste, s’est par exemple récemment mesuré au Festen de Thomas Vinterberg, et Myriam Muller à Breaking the Waves de Lars von Trier. Du même réalisateur, c’est maintenant Le Direktør qui est porté sur scène. Et c’est Oscar Gómez Mata, dont la compagnie L’Alakran est installée en Suisse, qui s’y colle. Contrairement aux deux autres, respectivement inventeur et praticienne de la « performance filmique », il y va sans caméras, avec un minimum de projections. Et comme à son habitude, il opte pour une adresse directe au public. Ce qui, au lieu de susciter la pensée critique souhaitée – « je repense alors à la façon dont Jean-Luc Nancy parle du comédien qui s’élève et qui porte ses idées… », dit le metteur en scène sur la feuille de salle –, crée une connivence forcée, barrage solide à toute réflexion.
La musique techno, le fiévreux et mécanique va-et-vient des comédiens qui nous accueillent établissent d’emblée une distance par rapport au film. Rien de naturaliste dans cette mise en scène. Au lieu des tremblements, des chastes ambiguïtés de Lars von Trier, c’est avec du gros son et de grands gestes qu’Oscar Gómez Mata aborde l’histoire rocambolesque du Direktør. Celle d’une PME danoise du secteur high dont le directeur, un certain Ravn (sautillant Christian Geffroy Schlitter), s’est toujours fait passer auprès de ses employés pour un simple collègue afin de mieux s’en faire aimer et de leur imposer ses décisions impopulaires. Jusqu’à ce qu’il veuille revendre l’entreprise et décide d’embaucher un acteur (David Gobet) pour endosser le rôle du « Directeur de Tout » qu’il a inventé de toutes pièces.
En poussant à l’extrême l’humour déployé par Lars von Trier, insistant notamment sur les procédés les plus proches du vaudeville – répétitions, farces scatologiques, comique de situation –, Oscar Gómez Mata échoue à tirer parti de l’intéressant parallèle entre théâtre et monde de l’entreprise développé dans le film. Poseur, pédant jusque dans les cas de conscience que soulève chez lui son rôle de « Directeur de Tout », son acteur sous contrat est aussi caricatural que son patron lâche et infantile. Nulle place pour le doute, dans ce face-à-face. Aucune zone d’ombre propice à la germination des idées, de toute façon empêchée par l’agitation permanente des neuf comédiens. Par leur façon poussive, souvent grossière, de jouer l’immaturité. Entre la cour d’école maternelle et Vol au-dessus d’un nid de coucou, les scènes d’équipe sont un sommet de vaines gesticulations. Rampant sur le sol, secouant des sacs plastiques ou imitant quelque créature indigne, les « anciens » employés de ce Direktør ont trop l’air de mioches en goguette pour susciter la moindre empathie. Ou d’ailleurs autre chose qu’un agacement qui, au terme des 2h15 du spectacle, l’emporte entièrement sur le fond de la pièce. Notamment sur son anti-capitaliste, assez puissant à l’époque de Lars von Trier mais aujourd’hui émoussé. Le Dogme 95 peut sans doute aider le théâtre à dire aujourd’hui ses doutes, ses impasses ; encore faut-il trouver une manière adéquate d’en transposer les préceptes.
Anaïs Heluin – www.sceneweb.fr
Le Direktør
D’après Direktøren for det hele de Lars von Trier
Mise en scène et adaptation : Oscar Gómez Mata
Assistant à la mise en scène : Jean-Daniel Piguet
Avec : Pierre Banderet, Valeria Bertolotto, Claire Deutsch, Vincent Fontannaz, Christian Geffroy Schlittler, David Gobet, Camille Mermet, Aurélien Patouillard, Bastien Semenzato
Création lumières et direction technique : Roberto Cafaggini
Création et régie son : Fernando de Miguel
Scénographie : Daniel Zamarbide – Bureau
Assistante scénographie : Vanessa Vicente
Costumes : Verónica Segovia
Assistée de Marie Diatchenko
Médiation : Simon Hildebrand
Production et diffusion : Barbara Giongo
Administration : Aymeric Demay
Production : Barbara Giongo
Diffusion : Tutu
Production : Compagnie L’alakran
Traduction du danois : Catherine Lise Dubost
Coproduction : Théâtre du Loup (Genève), La Bâtie – Festival de Genève, Théâtre Benno Besson (Yverdon-les-Bains) et Théâtre populaire romand – La Chaux-de-Fonds – Centre neuchâtelois des arts vivants
Avec le soutien de la Fondation Leenaards, du Pour-cent culturel Migros et de la Loterie Romande et de l’ONDA-Office national de diffusion artistique.
D’après Direktøren for det hele de Lars von Trier, présenté en accord avec Nordiska ApS (Copenhague).
Le spectacle a été lauréat 2016 du concours Label+ romand – Arts de la scène.
La tournée 2019 bénéficie du soutien de Pro Helvetia- Fondation suisse pour la culture, du Canton de Genève et de la CORRODIS(Commission romande de diffusion de spectacles)-Loterie Romande.
www.alakran.ch
Durée: 2h15Théâtre du Point du Jour
du 17 au 20 décembre 2019à 20h
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