Arnaud Hoedt et Jérôme Piron reprennent La Convivialité au Théâtre Tristan Bernard. Une entreprise de désacralisation du dogme orthographique à la fois brillante et provocante.
Alain Finkielkraut n’a qu’à bien se tenir ! Après en avoir proposé une version courte il y a deux ans au Festival XS, la compagnie Chantal & Bernadette débarque à Paris avec La Convivialité pour repartir – en version longue – à l’assaut de l’orthographe. Enfant chéri et honni de la société française, elle ne manque pas de susciter un débat enflammé à chaque fois que quelqu’un envisage de toucher ne serait-ce qu’une seule de ses règles.
Grâce à une démonstration d’une intelligence remarquable, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron, respectivement professeurs de français et de religion catholique, attaquent les idées préconçues des défenseurs du dogme orthographique. D’abord, et logiquement, en prouvant sa part d’absurdité. Là où le turc est strictement phonétique, le français se révèle bourré de complexités inutiles. Saviez-vous qu’il existe par exemple 12 façons d’écrire le son [s] et trois manières de prononcer la lettre « s » ?
Les puristes argueront qu’il s’agit là d’une référence à l’histoire de la langue, que tout cela a à voir avec la filiation de notre français actuel avec ses ancêtres latin et grec. Peut-être, mais seulement en partie. Car Arnaud Hoedt et Jérôme Piron pointent du doigt ces règles qui viennent d’erreurs d’interprétation de certains Académiciens. Prenons le mot « cheveux ». Au Moyen-Âge, il s’écrivait « cheveus » mais les moines copistes, lassés de devoir écrire ce « -us » à de multiples fins de mots, l’ont abrégé sous la forme d’un « x », donnant « chevex ». Pour respecter la phonétique, la lettre « u » a ensuite été ajoutée, donnant le « cheveux » que nous connaissons. Quant à bijoux, hiboux, choux, cailloux, genoux, joujoux et poux, leur « x » final ne contient aucune explication historique. Et le spectacle regorge de ces exemples qui emplafonnent les certitudes.
Mais les deux professeurs ne s’arrêtent pas là. Ils s’attèlent, point par point, à prouver le caractère discriminant de l’orthographe. Passée du statut d’outil au service de la langue à celui d’objet sacré, elle est devenue en même temps un levier de stigmatisation de ceux qui ne la maîtrisent pas sur le bout des doigts. Mal exécutée, elle discrédite pour des pures questions de forme le demandeur d’emploi ou la personne qui tenterait d’exprimer une idée. Surtout, son apprentissage se révèle être un calvaire inutile pour bon nombre d’élèves. Si leur niveau en orthographe baisse incontestablement ces dernières années, il monte – on appréciera la référence à Christian Baudelot et Roger Establet – dans bien d’autres domaines. Certes, si les élèves d’aujourd’hui écrivent sans doute avec une moins bonne orthographe que leurs grands-mères, ils apprennent bien davantage en histoire, en chimie, en biologie, etc. Une simplification de l’orthographe permettrait donc de renforcer ce mouvement et d’explorer encore plus en profondeur ces autres matières.
Pour éviter tout pensum lénifiant, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron font le pari réussi de l’humour, souvent grinçant. Loin de la conférence universitaire, leur spectacle – parsemé d’une dictée et de votes sur de nouvelles orthographes – se dote d’une dimension interactive qui séduit immédiatement. Si, comme ils l’avouent modestement, les deux professeurs ne sont pas comédiens, leur numéro de claquettes est pourtant très bien rodé. Un brin provocant, leur propos a le mérite de poser les bonnes questions sans imposer de nouveaux dogmes. La Convivialité fait partie de ces moments qui font chanceler les spectateurs sur leurs bases en ébranlant leurs convictions. Et c’est aussi ça, le théâtre.
Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr
La Convivialité
Conception, écriture et jeu, Arnaud Hoedt et Jérôme Piron
Co-mise en scène, Arnaud Pirault, Clément Thirion et Dominique Bréda
Création vidéo et régie, Kévin Matagne
Conseiller technique, Nicolas Callandt
Conseiller artistique, Antoine Defoort
Assistanat à la mise en scène, Anaïs Moray
Régie générale, Gaspard Samyn
Une création de la compagnie Chantal & Bernadette // En coproduction avec le Théâtre National (Bruxelles) et L’Ancre (Charleroi) ; avec le soutien du Théâtre de la Cité (Marseille), de La Bellone (Bruxelles), de la compagnie La Zouze (Marseille), du Centre Wallonie-Bruxelles à Paris et du Service de la langue française de la fédération Wallonie-Bruxelles ; avec l’aide du ministère de la fédération Wallonie-Bruxelles.Durée : 50 minutes
Théâtre Tristan Bernard
Du 14 octobre au 30 décembre 2019
Les dimanches à 16h
Les lundis à 20h
Parfois les fautes d’orthographe compliquent au lieu de simplifier : par exemple celle que vous faites dès votre 1ère phrase : « le MonTfort » qui s’écrit en réalité le MONFORT (du nom de la comédienne Silvia Monfort). Quant à votre faute suivante : « le français se révèle bourrER de complexités inutiles », on peut trouver que c’est un « calvaire inutile » de différencier un infinitif d’un participe… surtout si on considère que l’orthographe n’a rien à voir avec la grammaire, et n’aide pas à comprendre le sens des phrases écrites. Du moins, on a essayé de vous lire !
Confondre les graphies « é » et « er » ne signifie pas qu’on ne maitrise pas la différence entre un infinitif et un participe passé. Pour preuve, lorsque l’enseignant demande à l’enfant de se corriger, il lui propose de se référer à un verbe en « ir »comme rougir ou rôtir. Quel enfant dira « j’ai rôtir ». Connaitre les notions de grammaire scolaire ne signifie pas qu’on comprenne les mécanismes internes de la langue. Cette grammaire permet d’apprendre à écrire sans faute (et encore) mais elle n’est pas scientifique. C’est une méthode d’enseignement. Elle a été entièrement construite à l’envers et apprend en réalité à respecter une norme, pas à penser la langue. À ce sujet, on lira André Chervel ou Marc Wilmet. L’orthographe ne sert en réalité que rarement à comprendre le sens d’une phrase. Elle ne doit pas être confondue avec la syntaxe ou la morphologie. À force d’apprendre trop bien nos leçons, on a tendance à les donner. Bien Convivialement.
Il n’est pas exact de dire que les fautes d’orthographe n’aident que rarement à comprendre les phrases. Elles ralentissent considérablement la lecture. Il est facile de s’en convaincre en allant sur Internet consulter le premier blog venu où il faut se prendre la tête pour tenter de comprendre ce que les correspondants ont voulu dire.
On cite toujours l’exemple des variations orthographiques de Mme de Sévigné, or on oublie qu’elle ne s’adressait qu’à sa fille et à un public restreint qui avaient tout le temps de savourer les fantaisies du grand écrivain ! Il n’en va pas de même aujourd’hui où n’importe qui peut d’exprimer par écrit grâce à Internet à les centaines de milliers de lecteurs. Une maîtrise insuffisante du code écrit vous condamne au mieux à ne pas être lu, au pire à passer pour un illettré.
Si on rapprochait par une grande réforme l’écrit de l’oral comme le préconisent certains, toute la littérature française du passé deviendrait illisible pour les jeunes !
En outre quel code oral deviendrait la norme ? Le parler parisien au détriment des « accents » régionaux ? Le conservatisme orthographique n’a pas que des inconvénients parce ce que tout le monde peut se retrouver dans une tradition qui est d’ailleurs loin d’être figée.
La toute petite réforme de 1990 n’a fait que compliquer les dictionnaires qui doivent indiquer les deux variantes autorisées par l’Education Nationale.
Paradoxalement, l’orthographe réformée n’en devient que plus « discriminante » puisque on distingue plus facilement ceux qui connaissent l’ancienne. Quoi qu’il en soit on ne légifère pas en matière de langue, comme le savent tous les linguistes, c’est l’usage qui décide.
Il en va tout autrement pour les professeurs qui doivent non seulement apprendre à écrire à leurs élèves, mais aussi les initier à la lecture des grands auteurs passés et présents. Il leur était interdit naguère de donner des leçons synthétiques de grammaire. Le résultat de ces instructions a été catastrophique. On a privé les jeunes du minimum d’outil pour comprendre la syntaxe de la langue. Une phrase n’est une simple succession de mots comme les wagons d’un petit train. L’accord n’est que la manifestation la plus évidente des liens qui unissent les mots, même quand ils sont à des place différentes dans la phrase. La doctrine grammaticale enseignée dans les classes n’est pas le résultat d’une volonté de discriminer les élèves. Elle est issue d’une longue réflexion théorique et surtout pédagogique sur la langue qui remonte aux Grecs et aux Romains et se poursuit encore aujourd’hui. La plus grand prudence s’impose en matière d’éducation, en réformant il faut prendre garde à ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain !
Petit exercice :
Ecrire « Washington » avec le plus grand nombre de lettres possible !