Dans la Ruhr, en Allemagne, Krzysztof Warlikowski réinvente Pelléas et Mélisande dans un traitement peu conventionnel et hypersensible qui donne à voir l’opéra de Debussy à fleur de peau.
En investissant l’immense Jahrhunderthalle de Bochum, Warlikowski signe une mise en scène plutôt intimiste de l’œuvre, resserrée sur les personnages et les relations incertaines qu’ils entretiennent entre eux. Dans le décor de Malgorzata Szecniak, le royaume d’Allemonde est un espace entre ombre et clarté. Une aristocratie décadente toute viscontienne qui transpire des parquets et lambris de bois côtoie le monde plus prosaïque du peuple et de la débauche. On n’y trouve évidemment pas de forêt sombre ni de grotte mystérieuse mais un bar de couleur métallique éclairé aux néons et son arrière-salle que squattent des immigrés et des sans-logis ; pas de mer non plus mais du sang et des abattoirs où sont conduits les moutons que contemplent Yniold au loin. Entre les hauts murs et les portes fermées de la forteresse d’Arkel, un grand escalier de style Art-déco embrasse l’effectif orchestral installé sous une large baie vitrée qui rend l’extérieur invisible. Devant, se présentent l’impérialisme oppressant d’une vieille famille à bout de souffle et la beauté singulière, agressive et sensuelle de la marginalté chère à Warlikowski.
Le metteur en scène n’a pas son pareil pour fouiller et développer un sous-texte insoupçonné. Ainsi, de Pelléas et Mélisande, il ne raconte pas l’histoire d’un amour interdit mais celle d’une étonnante reconnaissance entre deux êtres moins amants que doubles ou frères d’élection, tous les deux fuyants et ambigus, partageant une même fébrilité face à l’existence, une même inconvenance, une inadaptation face aux normes et aux codes sociaux. Noyant son chagrin et la solitude dans l’alcool et la cigarette, elle apparaît magnifiquement avachie sur le comptoir où Golaud, représenté comme un homme à la virilité brutale et blessée, la rencontre et décide de l’emmener. Leur attirance réciproque se consomme dans une torride étreinte sur une batterie de lavabos alignés qui seront aussi la fontaine des aveugles. Pelléas, dénote avec sa chevelure blonde décolorée et les manifestations de son homosexualité latente. Une non-conformité aux valeurs bourgeoises les réunit.
Chanteurs et figurants atteignent tous une grande intensité de jeu. Barbara Hannigan, qui prenait le rôle au festival d’Aix l’été dernier dans la mise en scène de Katie Mitchell, joue une Mélisande plus femme fatale que femme-enfant. On lui reconnaît quelques traits de la Lulu protéiforme qu’elle interprétait auparavant sous la direction de Warlikowski. Avec quelque chose de déséquilibré, de profondément cassé et de sublime dans son corps las et lascif, elle est toujours séductrice et insaisissable. subtilement campé, le Pelléas de Phillip Addis est d’un romantisme en diable, pas dans la fougue mais par son côté torturé et malheureux. Leigh Melrose est un formidable Golaud, impressionnant dans ses accès de violence et de fureur douloureuse. Il faut aussi citer l’Arkel noble et chaleureux de Franz-Josef Selig, irremplaçable dans le rôle, la Geneviève profondément humaine de Sara Mingardo et l’Yniold tout à fait juste d’un jeune soliste des Knabenchores der Chorakademie Dortmund.
A la tête du Bochumer Symphoniker, Sylvain Cambreling dirige une œuvre de prédilection avec laquelle il a déjà fait grande impression à Salzbourg puis Paris. Il propose une direction passionnante et hypnotique de l’œuvre toujours au service du drame. Avec lenteur et ampleur, il fait ressortir toutes les couleurs et les nuances qui permettent de visiter les climats sonores les plus contrastés de la partition.
Peinture d’une humanité névrosée, désœuvrée, ce Pelléas et Mélisande s’extirpe du symbolisme de Maeterlinck pour trouver place dans un cadre plus réaliste et décalé mais il conserve toute son énigme, son indétermination et sa beauté trouble.
Christophe Candoni – www.sceneweb.fr
Pelléas et Mélisande de Claude Debussy
Direction Sylvain Cambreling
Mise en Scène Krzysztof Warlikowski
Arkel – Franz-Josef Selig
Pelléas – Phillip Addis
Golaud – Leigh Melrose
Ein Arzt – Caio Monteiro
Mélisande – Barbara Hannigan
Geneviève – Sara Mingardo
Yniold – Solist des Knabenchores der Chorakademie Dortmund
Extras – Frank Bramkamp, Lisa-Katharina Breuer, Björn Castillano, Yacouba Coulibaly, Klaus-Peter Hannig, Monika Hüttche, Laron Janus, Juliana Jobe, Klaus Linden, Christian Scheid, Gabriele Schönstädt, Eva Stoldt, Aboubacar Traore
Orchestra – Bochumer SymphonikerJahrhunderthalle Bochum
August
Fri 18 19:30
Thu 24 19:30
Sat 26 19:30
Sun 27 19:30
Thu 31 19:30
September
Fri 01 19:30
Sun 03 19
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