En février et mars 2016, j’ai vécu deux mois en résidence à la Saison Fondation, au Japon, sur les traces de l’artiste disparu Shuji Terayama. La rencontre avec l’œuvre de Terayama a provoqué chez moi un choc artistique, alimenté par la sensation de pouvoir me connecter à un univers familier. J’ai pu voir dans son travail une façon d’ouvrir le regard. À l’origine, Terayama était un homme de lettres, qui a démarré par l’écriture de tanka, une forme proche du haïku, qui l’a rendu célèbre au Japon, avant même d’atteindre l’âge adulte. Puis il s’est orienté vers l’écriture de textes de théâtre, la mise en scène avec la troupe du Tenjo Sajiki qu’il a fondée, la photographie, la réalisation de films expérimentaux et de films plus « grand public », tout en étant, en parallèle, journaliste de boxe et de course hippique. C’est ce travail polymorphe qui m’a séduit, et qui m’a emmené à vouloir creuser mon intérêt et ma curiosité à son égard.
En choisissant de faire cette recherche sur Terayama, on pourrait penser que je tends vers un exotisme. Le Japon, qui est un pays où je suis allé à cinq reprises, a fini par m’être familier, sachant que dès la première fois, je lui trouvais des points communs avec le Maghreb et l’Algérie, une de mes racines, comme les soins du corps en collectif (le hammam pour l’un, les bains chauds pour l’autre), le rapport au sol (pour les repas, les couchages), les différents rituels, la séparation des hommes et des femmes. Les sensations d’exotisme et d’étrangeté au Japon ont fini par se transformer en quelque chose de familier, de connu, d’endotique.
L’endotisme est par essence le contraire de l’exotisme. Le courant endotique propose une tentative de renouvellement du sujet, non pas en le détournant ou en le contournant, mais en l’abordant directement. Il s’agit de se confronter à sa vérité sensible. Ce courant, initié entre autres par Francis Bacon, s’oppose à l’art conceptuel, qui rencontrait un grand succès, dans les années 60-70, à la même période où Terayama réalisait son travail au Japon et en Europe, lors de ses nombreux voyages.
Je fais le lien entre le mouvement endotique et Teyarama, car je ressens une forte capacité chez Terayama à se renouveler, à questionner profondément sa production artistique, ses motivations, sa nécessité de créer. C’est ce que je vois dans les différentes pièces qui composent son œuvre, ainsi que dans les entretiens que j’ai pu conduire avec ses collaborateurs. Terayama voulait montrer la réalité, et c’est la raison pour laquelle il travaillait avec des amateurs, des corps différents, des gens de petite taille ou de forte corpulence. Il disait qu’il voulait changer et révolutionner le monde par le théâtre.
Je me risquerais à faire un lien avec un autre mouvement artistique, car j’ai cherché à faire des connexions avec des événements concomitants, dans des espaces et des continents différents, et cette fois, je resterai au Japon pour faire le lien avec le mouvement Gutaï. Le terme vient de gu qui signifie instrument et taï le corps, et son adverbe gutaïteki ce qui est concret, l’incarnation. Gutaï est un des mouvements fondateurs de l’art contemporain et de la performance, qui se manifeste au départ dans la région de Kyoto et d’Osaka, à la fin des années 50, à la même époque que les premières Anthropométries d’Yves Klein en France. Le fondateur du mouvement, Jir? Yoshihara, écrit dans le Manifeste de l’art Gutaï :
« L’art Gutaï ne transforme pas, ne détourne pas la matière ; il lui donne vie. Il participe à la réconciliation de l’esprit humain et de la matière, qui ne lui est ni assimilée ni soumise et qui, une fois révélée en tant que telle se mettra à parler et même à crier. »
Les artistes du mouvement Gutaï sont venus se produire à Tokyo et il est fort probable que Terayama les ait vus. Je perçois une connexion entre eux, dans le fait de travailler la matière brute et de donner à voir au public le processus. Tout comme chez Francis Bacon, il y a cette volonté d’être directement plongé dans le sujet et sa matière sensible.
Pour ce projet, je choisis de revenir sur l’histoire de la performance et des pratiques d’art action, qui placent justement le corps au centre de l’action, ce corps qui prend des fonctions multiples : matière, support, instrument, sujet, acteur, spectateur. Je souhaite réactiver les performances de Terayama, d’Yves Klein et du mouvement Gutaï, les mettre en dialogue, afin d’observer ce qui résonne encore aujourd’hui.
Je pratiquerai le reenactement, duquel je conserve l’idée de remettre en jeu et en acte. Le reenactement est à l’origine la reconstitution grandeur nature d’un événement historique. Depuis les années 60, c’est devenu une pratique que les artistes se sont appropriés, essentiellement dans les arts plastiques.
Je souhaite prolonger le travail autour de la référence et de l’histoire, comme j’ai pu le faire en abordant les pièces Casse-Noisette ou Le Sacre du Printemps. En prenant cette fois-ci des références de la performance et de l’art action, je choisis d’utiliser comme matériaux le corps, et surtout le rapport à l’immédiateté, ici et maintenant, hic et nunc, afin de redéfinir l’aspect vivant de la performance, ce jeu dont parlait Francis Bacon, que je citais en ouverture. David Wampach
Endo
chorégraphie • David Wampach
danse • Tamar Shelef, David Wampach
éléments plastiques • Rachel Garcia
collaborations artistiques • Marie Orts, Dalila Khatir
lumière • Nicolas Boudier
son • en cours
production et diffusion • Sabine Seifert
administration • Antoine Billet
production déléguée • Association Achles
coproduction • Uzès Danse CDC, Festival Montpellier Danse 2017, Centre chorégraphique national de Tours
avec le soutien de • Saison Foundation (Tokyo/Japon), l’Agence des Affaires Culturelles du gouvernement du Japon, Villa Kujoyama (Kyoto/Japon), l’Echangeur CDC Picardie, CND – un centre d’art pour la danse, Tanzhaus Zürich
David Wampach a été invité par la Saison Foundation comme Visiting Fellow en 2016calendrier de production
CND – un centre d’art pour la danse, Pantin • du 5 au 9 septembre 2016
Studio Condorcet, Nîmes • du 19 au 23 décembre 2016
l’Echangeur CDC Picardie • du 23 au 27 janvier 2017
CCN de Tours • du 13 au 24 février 2017
Tanzhaus Zürich • du 27 février au 3 mars 2017
Le Parvis, Tarbes • du 29 mai au 9 juin 2017
Montpellier Danse, Agora • du 19 au 25 juin 2017
création au Festival Montpellier Danse 2017 les 26 et 27 juin au Studio Bagouet / Agora
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