Au rythme de la cinquième symphonie du compositeur autrichien, la cofondatrice du collectif La Vie Brève orchestre une performance où l’esthétique l’emporte sur le sens.
Jeanne Candel nous aura prévenus. Interrogée sur les coulisses de la création de Demi-Véronique, la cofondatrice du collectif La Vie Brève assure avoir « choisi délibérément de laisser de côté la question du sens ». « À la place, ajoute-t-elle, nous avons construit un monde. Notre idée était d’offrir le plus de liberté possible au spectateur. À lui de faire son chemin dans ce monde fragmenté qu’on présente sur scène. » Sauf, qu’à trop le perdre, le même spectateur reste, à grand regret, aux portes de cette performance iconoclaste.
Accompagnée de Caroline Darchen et Lionel Dray, la future codirectrice, avec Samuel Achache, du Théâtre de l’Aquarium se sert des flux et des reflux de la cinquième symphonie de Gustav Mahler pour déployer un univers intérieur, proche du conte noir pour adultes. Dans un somptueux décor de maison calcinée, où ne subsistent qu’un four à pain, quelques ustensiles de cuisine et un fauteuil déchiqueté, les trois comédiens redoublent d’inventivité pour orchestrer un ballet théâtral à l’esthétique travaillée. Tantôt portés, tantôt rattrapés, par les mouvements de la musique du compositeur autrichien, qui sait se faire aussi grondante qu’ironique, aussi furieuse que mélancolique, les voilà embarqués dans un irrémédiable empilement de trouvailles scéniques, de l’assassinat d’un poisson invincible à la réanimation d’un énorme cœur en peluche, de la fuite d’une biscotte récalcitrante à l’expérimentation d’oreilles capricieuses.
Intégralement muette, exception faite d’un prologue curieusement bavard, la proposition profite de l’étrangeté et de la qualité du jeu des comédiens. Tels des fantômes malins au comportement neurasthénique, le trio met toute son énergie et sa générosité dans cette bataille contre et avec une musique qui, peu à peu, se trouve reléguée à l’arrière-plan et réduite au rang de papier peint sonore. D’abord séduisante grâce à l’atmosphère déjantée qu’elle parvient à dégager, l’expérience vire rapidement à la performance autarcique.
Parfois drôle, souvent poussive, elle semble dénuée de toute direction claire, comme un objet théâtral qui n’aurait d’autre but que sa seule existence et pour unique dessein que de se complaire en lui-même. Difficile alors d’aller chercher un quelconque sens au-delà de cette compilation de numéros, qui, aussi sensible et touchante soit-elle, donne régulièrement l’impression de détruire pour détruire, de salir pour salir, de faire, en somme, de l’art pour l’art. Jeanne Candel nous avait habitués à plus de hauteur de vue.
Vincent BOUQUET – www.sceneweb.fr
Demi-Véronique
Un ballet théâtral de Jeanne Candel, Caroline Darchen et Lionel Dray sur la cinquième symphonie de Gustav Mahler
Avec Jeanne Candel, Caroline Darchen et Lionel Dray
Scénographie Lisa Navarro
Création lumière Vyara Stefanova
Costumes Pauline Kieffer
Son Julien Fezans
Accessoires Simona Grassano
Construction décor Vincent Lefèvre et Philippe GauliardDurée : 1h10
Du mardi 6 novembre au samedi 17 novembre 2018
Du mardi au samedi à 20h30 Matinées les samedis à 14h30
Théâtre des Bouffes du NordLe 5 mars 2019
Scène nationale de Brive-TulleLes 20 et 21 mars
Théâtre de Nîmes
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