Après une saison 1 présentée au Théâtre Ouvert en 2015, Robert Cantarella poursuit sa série théâtrale sur le thème de Faust au Théâtre de Nanterre-Amandiers. Le mois de mars a vu se succéder un épisode par semaine sur ses planches de la salle transformable et s’achève avec l’intégrale jouée jusqu’au 1er avril. L’idée attrayante d’utiliser les codes de la série télévisée au théâtre est malheureusement trop imparfaitement traitée pour créer un véritable engouement.
Un prospectus distribué à l’entrée de la salle nous apprend que dans la saison 1, la femme du héros était morte et que ce dernier avait couché avec sa sœur grâce à la complicité de Mephisto. Dans la foulée, il lui avait fait un enfant. Au départ, la saison 2 n’en est pas moins prometteuse : elle commence très fort : Henri Faust (Nicolas Maury) est debout au pied d’un lit d’hôpital, une flaque de sang à ses pieds. Il se réveille émasculé après trois ans de coma. A peine debout, il est pris dans l’aventure familiale « Felicity », du nom de l’entreprise dirigée par une belle-mère aux faux airs de Cruella. Son but ? Trouver un moyen de vendre le bonheur aux gens, remplaçant ainsi Dieu, cela pour enrichir sa famille et donc elle, indirectement. Dans cette saison, Mephisto est transparent, presque dépressif, en tous les cas bien moins puissant que Faust qui le contrôle désormais.
Cette histoire et les rebondissements, nombreux, qui l’accompagnent ne sont pas suffisamment bien traités pour provoquer l’effet d’une série sur le spectateur. Il y a souvent des passages qui donnent l’impression d’un théâtre à la durée étendue, sans rythme. Ce qui serait impensable venant d’une série télévisée actuelle sous peine de se priver d’audience. Face à une telle lenteur, parfois, on se dit que le but n’est donc pas de singer l’objet de la série, mais son système.
Alors justement, que reste-t-il de ce système qui, selon les arguments de Cantarella, a inspiré la construction du spectacle ? Quelques codes montrés puis immédiatement brisés : de multiples auteurs sont convoqués pour converger autour d’une histoire commune mais leur plume se fait peu narrative ; on entend la musique pop fredonnée pendant les scènes tragiques, mais celle-ci agace les personnages. L’aspect factice d’un bonheur projeté sur l’écran est sans cesse souligné, à commencer par la scénographie qui a tout des studios télévisés et donc son esthétique de chantier. Cette simulation ironique du bonheur des personnages apparaît dans les scènes mêmes, lorsqu’ils posent pour une photo de mariage (épisode 1) ou bien qu’ils sont à la plage (épisode 2) : deux rares réussites de l’intégrale. On relève au passage que dans le domaine du bonheur à créer, la création du Teater No 99, « Ma femme m’a fait une scène et a effacé toutes nos photos de vacances » allait bien plus loin. En bref, du système des séries, Cantarella complique tout et semble sans cesse vouloir s’excuser de s’inspirer d’un art que certains considèrent encore comme vulgaire.
A vouloir trop en prendre distance, certaines situations sont absurdes et perdent de leur intérêt car le metteur en scène veut les rendre à tout prix « théâtrale » (dans le sens vide que peut renfermer ce terme). On voit des personnages qui sont tous fous, mais du coup qui étouffent la folie les uns des autres. Aucun ne se démarque comme le feraient les héros d’un « House of Cards » ou « How to get away with murder ». On est plutôt dans un cabaret moderne – à l’image de celui de Jeanne Candel avec « Le Goût du faux » mais qui ici n’est pas assumé. Chaque personnage est livré à lui-même et compte sur sa seule individualité. Les répliques sont souvent inattendues, aucune n’en appelle une autre, parfois on se demande : où est le dialogue ? La simplicité est bien trop intellectualisée, rien ne fait sens dans la globalité, rien ne fait « série ». L’histoire de Faust est coupée de son origine et donc de sa lisibilité essentielle. Le personnage voulu par Goethe ne ressort pas enrichi de cette expérience, pas même modernisé d’une quelconque manière.
On remarque néanmoins quelques fulgurances, notamment à partir de l’épisode 3 où les acteurs semblent prendre toute leur dimension, livrés à leur seul talent – immense pour la plupart d’entre eux. La distribution très jeune est marquée par Nicolas Maury qui semble avoir un potentiel sans limites, on remarque aussi Aurélien Feng qui compose un duo trash et délirant avec Maud Wyler a qui on laisse ici tout l’espace pour libérer sa folie poétique et dangereuse. Mais ces quelques coups de génie nous laissent sur notre faim, la tension redescend et pendant de longs moments on est en suspens à cause d’inévitables longueurs qui sans cesse reviennent. Même la fin est gâchée par ce cercle infernal : Henri Faust fait un monologue splendide, où il capte toute notre attention et achève de s’épanouir. Cantarella pourrit son « season finale » que tout amateur de série, depuis « Les Sopranos » sait si important en donnant la fin à deux nouveaux personnages venus de nulle part qui viennent débattre philosophie et mathématique pascalienne. Un événement totalement superflu.
Alors que retenir de cette soirée « série » au théâtre ? Une bonne idée de départ qui n’est pas assumée. Robert Cantarella semble avoir voulu sans cesse montrer qu’il prenait distance – pour ne pas dire de la hauteur – par rapport aux séries télévisées. Cela donne donc une sorte de variante des « Feux de l’Amour » assaisonnée de tabous. D’autres metteurs en scène, avec des textes existants, ont pourtant su bien intégrer la construction des séries : Thomas Jolly avec « Henry VI » ou encore Julien Gosselin avec « 2666 » en sont les exemples les plus réussis.
Hadrien VOLLE – www.sceneweb.fr
« Notre Faust, saison 2 »
Mise en Scène : Robert Cantarella
Ecriture : Stéphane Bouquet, Robert Cantarella, Nicolas Doutey, Liliane Giraudon, Noëlle Renaude, Anais Vaugelade
Avec
Faust : Nicolas Maury
Méphisto : Rodolphe Congé
Rachel : Cécile Fisera
Wurtz : Gaétan Vourc’h
Anne : Charlotte Clamens
Emilien : Emilien Tessier
Inès, la mère : Florence Giorgetti
Claude, le compagnon de la mère : Roger Itier
Euphoryon : Aurélien Feng
Hélène de Troie : Maud Wyler
L’infirmière Audrey, Le chien : Margot Van Hove
Gaétan : Orphée de Corbière
Beyonce : Rebecca Meyer
Scénographie : Élodie Dauguet
Lumières : Philippe Gladieux
Musique : Alexandre Meyer
Chant : Rébecca Meyer
Costumes : Constance de CorbièreNanterre Amandiers
Épisode 1 : du 2 au 5 mars
Épisode 2 : du 9 au 12 mars
Épisode 3 : du 16 au 19 mars
Épisode 4 : du 23 au 26 mars
Jeu., ven. à 20h
Sam. à 18h
Dim. à 15h30
Durée de chaque épisode
1h
Dates et horaires des intégralesdu 29 mars au 1er avril à 19h30
Durée de l’intégrale
4h10, pauses comprises
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