Dans une installation immersive et performative forte en matraquage d’images illisibles et de musiques saturantes, Christiane Jatahy adapte très librement le Macbeth de Shakespeare. Elle y cultive l’art du paradoxe et du mauvais goût en voulant montrer toutes les horreurs et la misère du monde alors qu’elle convie les spect-acteurs à une animation superficielle s’apparentant à un cocktail mondain.
Tous se ruent d’abord au bar du fond d’un local sombre et étroit du CentQuatre pour y trouver diverses boissons alcoolisées ou non. Les récits de corruption, d’incarcération, d’assassinat d’hommes et de femmes exprimant leur fragilité face à l’oppression politique dans leurs pays attendront bien… Difficilement déchiffrables car projetés simultanément et sans indications sur quatre écrans, ces témoignages intimes, pris sur le vif dans les espaces urbains ou domestiques souvent précaires voir délabrés du Congo ou de Rio de Janeiro disent bien le chaos quotidien, le sentiment terrible d’abandon et de contestation de milliers d’individus reçus dans un brouhaha indifférent et négligeant. Le dispositif sophistiqué devrait empêcher le spectateur de demeurer passif à la violence du monde qu’il prend de plein fouet. C’est exactement l’inverse qui se produit. A l’heure du zapping, il parcourt, égaré, circonspect, les vidéos, rien n’attire vraiment son attention de cette parole semble-t-il essentielle. Une comédienne déambule et chute à répétition dans la foule. Même absence de réaction.
A l’insu d’un bon nombre de gens, la performance a déjà commencé. Certains d’entre eux munis d’une oreillette reçoivent des indications de jeu, d’actions. Derrière les vitres teintées du bar, d’importants et dispendieux moyens techniques et humains sont déployés pour tourner en direct un film montré après une reconfiguration de l’espace. La forêt mouvante qui donne son nom au spectacle, A Floresta que anda, renvoie à l’armée de Birnam qui aura raison de Macbeth à la fin du drame. Cette menace qui avance dissimulée et affronte le héros shakespearien, signe d’une ère nouvelle qui met fin aux outrages du pouvoir, ce sont les images et les écrans eux-mêmes qui se propulsent sur nous sans échappatoire.
Connue pour ses sublimes adaptations de Mademoiselle Julie de Strindberg et des Trois sœurs de Tchekhov, toutes deux présentées au CentQuatre, Christiane Jatahy manie et rend poreux le théâtre et le cinéma avec une aisance virtuose, retrouve ses thèmes de prédilection, la volonté de changement, les rêves impossibles, la fête comme diversion, elle magnifie encore la vulnérabilité des femmes toujours au centre de son travail, mais elle ne parvient pas, ou de manière superflue, à restituer cette fois l’audace, la sensibilité et la proximité vibrantes du texte à son public.
Christophe Candoni – sceneweb.fr
La Forêt qui marche
texte : Christiane Jatahy / inspiré de Macbeth de William Shakespeare
avec : Julia Bernat et la participation de performers locaux
créé et dirigé en direct par : Christiane Jatahy
direction de la photographie, lumière et vidéo live : Paulo Camacho
conception du scénario : Christiane Jatahy et Marcelo Lipiani
direction artistique : Marcelo Lipiani
création son et effets : Estevão Case
collaboration artistique : Stella Rabello et Isabel Teixeira
costumes : Fause Haten
conseil vidéo : Julio Parente
assistante à la mise en scène et conseillère artistique : Fernanda Bond
technicien lumières : Leandro Barreto
technicien plateau : Thiago Katona
régie vidéo : Felipe Norkus
création des décors: Christiane Jatahy et Marcelo Lipiani
mixage son et vidéo : Francisco Slade
création graphique : Radiográfico
assistante de production : Nathalia Athayde
direction de la production et tour manager : Henrique MarianoAu 104 à Paris
04 > 22.10.2016
avec l’Odéon-Théâtre de l’Europe
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