La chorégraphe Maguy Marin est de retour à l’Opéra national de Paris après 29 ans d’absence. En 1987, c’est Rudolf Nourrev qui l’avait invitée la première fois. Benjamin Millepied lui a proposé de faire entrer au répertoire une œuvre très politique qui date de 2002 : « Les applaudissements ne se mangent pas ». Elle évoque l’état des pays en Amérique Latine. Rencontre avec la chorégraphe à l’issue de la générale.
Êtes-vous fière que cette pièce entre au répertoire ?
Je suis très contente que Benjamin Millepied ait choisi cette pièce. Cela m’a étonné car ce n’est pas la plus joyeuse de mon répertoire ! Il l’a vue aux États-Unis. Elle a été très importante pour moi et je suis heureuse qu’elle ne tombe pas dans l’oubli.
Cela fait 29 ans que vous n’étiez pas venue dans cette maison !
C’est un endroit très important pour la danse. Je suis contente, mais cela ne va pas changer ma vie non plus. Il y a aussi d’autres très belles maisons. En fait ce sont surtout ma mère et ma sœur qui sont fières !
On sort le cœur noué de cette pièce. Elle ne laisse pas indifférent.
C’est une pièce sur l’Amérique Latine. Certaines situations politiques donnent cette impression d’oppression car elle existe dans ces pays.
Dans l’une des dernières scènes, les huit danseurs se font face, ils avancent vers le fond de la scène, ils se jettent derrière les rideaux. On peut y voir l’image des bourreaux balançant leurs victimes dans une fosse.
La scène est comme un espace de rejet. C’est quelque chose de vomi qui empêche les corps d’être libres et d’exister. C’est une forme obscure. C’est la force de la finance et l’argent qui fout les corps de millions de personnes dans la misère.
Elle date de 2002 et elle est toujours d’actualité
En travaillant sur l’Amérique Latine on s’aperçoit que ce continent a été un laboratoire pendant beaucoup d’années qui a opprimé les populations. En 2002 c’était la crise en Argentine, on regardait cela de loin. Ces pays se sont enrichis sur le dos des gens en confisquant leur richesse. Et cela arrive aujourd’hui en Europe. C’est catastrophique et la pièce est toujours d’actualité. Mais cela ne suffit de le dire. Malheureusement la danse ne change pas le Monde. J’espère qu’elle peut changer la vie des spectateurs, en tout cas elle a changé la mienne.
La danse n’est pas souvent politique. Mais la votre est engagée.
Oui car je pense que l’art est politique, donc la danse est politique. On doit raconter cela sur une scène, ensemble, face au public, car la vie est éphémère.
Quelle a été votre relation avec les danseurs ?
C’est surtout Ennio Sammarco qui a travaillé avec eux au début. Il a joué la pièce lors de la création. Le rapport a été excellent. Je les ai trouvé très investis et disponibles sur ce projet.
Il n’y a pas de danseur Etoile, c’est une volonté ?
Il y en avait une mais elle s’est blessée. Quand on a choisi les danseurs on ne connaissait leur grade. Ce n’était pas essentiel.
C’est un tout jeune danseur qui achève la pièce, Simon Le Borgne, qui est Quadrille surnuméraire. Et il est en CDD !
Ah je le trouve magnifique ! J’ai su très tard qu’il était CDD, un précaire ! C’est un excellent danseur, il est très jeune. Les huit danseurs sont magnifiques. Ce n’était pas gagné d’obtenir cette chose là. Surtout pour les filles qui ont l’habitude d’être légères et évanescentes. Je leur demande de porter des garçons, souvent très lourds. Aucune n’a rechigné.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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