L’auteur anglais, Edward Bond est mort à l’âge de 89 ans. Il était entré « au répertoire » de la Comédie Française en 2016 avec sa pièce La Mer écrite en 1973. Il fait partie des grands auteurs contemporains. Il porte un regard poétique et politique sur l’histoire de l’humanité. La pièce est mise en scène par Alain Françon. Sa 11ème mise en scène d’un texte de l’auteur anglais qui était venu à Paris pour cette entrée au répertoire. Rencontre avec Edward Bond.
Vous entrez au répertoire de la Comédie-Française après une longue liste d’auteurs de Molière à Racine en passant par Brecht. Quel sentiment éprouvez-vous ?
(rires) Ils n’étaient pas là. Ils ont fait leur boulot, moi aussi. Ce n’est qu’un boulot.
La pièce a été écrite dans les années 70. Est-ce cette pièce vous parle toujours ?
Oui elle a encore plus de sens aujourd’hui car elle parle de l’humain. La pièce se termine sur une réplique tronquée. Autant que je me souvienne quand je l’ai écrite je me suis dit « nous sommes en 1907 et ensuite c’est la Première guerre mondiale ». La guerre va bientôt se déclarer, ces jeunes gens vont se faire tuer. Cela a été une guerre épouvantable mais ce qui se passe depuis est pire encore. On pourrait toujours partir en guerre aujourd’hui mais on n’a plus aucune idée de ce que signifie la victoire. La violence ne peut pas résoudre nos problèmes. Quand on entend la pièce se terminer, le silence qui suit est un silence dostoïevskien. C’est un silence d’un très grand nihilisme.
Cette pièce navigue entre le tragique et le comique. Vous penchez de quel côté en ce moment, l’optimisme ou le pessimisme ?
Il faut bien être optimiste par nature sinon pourquoi se casser les pieds à écrire ! Il faut bien se dire que l’on est capable de transmettre quelque chose à un public. La situation aujourd’hui est complétement neuve. J’appelle cela la 3ème crise de l’histoire humaine. J’ai grandi pendant la 2ème guerre mondiale et c’était totalement effrayant. Mais à l’époque on savait ce que la victoire signifiait. On ne le croirait pas comme cela parce que l’on s’est débarré des pestes et de toutes les grandes calamités de l’humanité mais en réalité nous vivons dans un monde profondément triste.
Quand vous voyez ces centaines de milliers de réfugiés contraints de quitter leur pays, pensez-vous à eux ?
Oui. Dans la Mer, il y a une scène qui se passe sur la plage et l’on découvre un cadavre. Il se trouve que c’est l’actualité que l’on peut lire aujourd’hui dans les journaux. Cela s’appuie sur un événement réel que j’ai vécu à l’âge de 6 ans. J’étais au bord de la mer et j’ai vu ce corps inerte sur le sable, échoué d’un bateau de réfugiés qui venait du continent européen et qui s’était fait bombardé. Aujourd’hui on ne bombarde plus les bateaux de réfugiés mais c’est cruel car ces gens payent cher et leur bateau coule. Et s’ils arrivent en Europe, dans le pays des merveilles, on les met dans des camps. Le vrai crime humain ce n’est pas de penser à leur avenir, c’est de savoir pourquoi ces gens quittent leur pays. Je ne comprends pas que l’on permette de que de telles choses arrivent.
Comment avez-vous trouvé les comédiens de la troupe de la Comédie-Française ?
(Rires) Je ne parle malheureusement pas français ! C’est une pièce très bizarre avec huit scènes, il faut bien travailler les liens entre elles. Après une représentation les acteurs veulent que je parle. Je n’aime pas trop faire cela. Ce n’est plus ma pièce. C’est leur pièce. Mon idée du paradis ce n’est pas d’être assis dans une salle de théâtre mais c’est d’être assis dehors sur les marches. Les acteurs peuvent jouer la pièce pendant ce temps et moi je suis assis sur les marches et tout va très bien ! Et puis tout à coup une actrice déboule et me dit « la scène 4 ne fonctionne pas du tout ». Alors je suis contraint de retourner à l’intérieur pour réécrire. C’est une blague mais pas tout à fait. Je suis sérieux. La forme théâtrale c’est une affaire de jeu, ce n’est pas une affaire d’écriture. Les acteurs ont beaucoup plus à dire que les écrivains.
Le théâtre c’est aussi la mise en scène. Alain Françon met en scène votre onzième pièce en France. Est-ce que les mises en scène en France sont très différentes des mises en scène en Angleterre ?
La culture de chaque pays change les choses. On arrive à voir si les acteurs comprennent l’histoire et la situation même si le contexte est différent. Très souvent on en apprend beaucoup plus sur ses pièces quand elles sont montées à l’étranger. Cette pièce vient d’entrer au répertoire, les acteurs commencent, et cela me fait plaisir de la transmettre au public. Et je suis très heureux des relations de travail avec Alain Françon. Il connaît parfaitement mon univers. Les acteurs ont beaucoup de chance d’avoir affaire à lui.
Propos recueillis par Stéphane CAPRON – traduction de David Tuaillon.
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