Au TNP, Christian Schiaretti prend le mot ubuesque au pied de la lettre et livre une version d’Ubu Roi pour le moins déjantée. Mais le concept s’essouffle en cours de route.
Avant même que le spectacle ne commence, le ton d’Ubu Roi – sous-titré (ou presque) – est donné. Jonché de détritus, fait de bric et de broc, le décor signé Fanny Gamet qui trône sur la scène du Théâtre national populaire est tout aussi foutraque que la pièce qui va suivre. Grotesque par essence, le père Ubu n’a sans doute jamais été aussi ridicule que sous l’œil satirique de la « fatrasie collective » concoctée par Christian Schiaretti et adaptée par Pauline Noblecourt. Dans la veine de ce genre littéraire moyenâgeux, ils donnent plus d’importance au son qu’au sens, à l’action plutôt qu’à la raison.
Maniant avec un malin plaisir la langue fleurie et inventive d’Alfred Jarry, le directeur du TNP ne recule devant aucune audace pour transformer Ubu Roi en une potache sarabande où l’avidité de l’ancien capitaine des dragons est clouée au pilori. Soif du pouvoir après le meurtre du roi Venceslas, soif d’argent dans une logique d’accumulation sans but, soif de sang pour asseoir son pouvoir ; le tout encouragé par sa femme, la mère Ubu, qui se rend peu à peu compte du monstre qu’elle a engendré. Les nobles, les magistrats et même les financiers sont massacrés pour faire place nette à un Ubu qui se rêve tout puissant mais n’est en réalité qu’un fieffé incompétent.
Certains pourront y voir la caricature de dictateurs du XXe voire du XXIe siècle, d’autres la personnalisation d’un capitalisme triomphant qui court à sa perte en détruisant les hommes et la nature… Autant d’interprétations rendues possible par une pièce qui, aussi déjantée soit elle, ne tourne jamais (ou presque) au ridicule, alors qu’elle aurait tous les moyens de s’y vautrer. Si chaos scénique il y a, il est savamment organisé et cadré par Christian Schiaretti, entouré par une troupe de comédiens qui jouent leur partition sans jamais prendre le risque d’en faire trop.
Fourmillant d’idées à la manière d’un Kaamelott durant toute la première partie du spectacle, le concept perd toutefois progressivement de sa vigueur : les gags se répètent, les vraies audaces se font plus rare et les comédiens se dévitalisent peu à peu alors que l’essentiel du système repose sur eux. Là où certaines pièces montent en puissance, celle-ci va plutôt decrescendo, jusqu’à devenir un brin lassante et faire espérer que la chanson du décervelage – ultime scène de la pièce – ne survienne finalement plus rapidement que prévu.
Ubu (ou presque)
de Alfred Jarry / fatrasie collective
Avec
Avec, sous la direction de Christian Schiaretti : Annick Bergeron, Stéphane Bernard, Julien Gauthier, Damien Gouy, Margaux Le Mignan, Clémence Longy, Clément Morinière, Maxime Pambet, Julien Tiphaine (distribution en cours)
Marc Delhaye — musicien
adaptation Pauline Noblecourt
composition musicale, improvisation Marc Delhaye
scénographie et costumes Fanny Gamet
assistante aux costumes Émily Cauwet-Lafont
lumières Julia Grand
travail corporel Dimitri Mager
assistante à la mise en scène Louise Vignaud
production Théâtre National Populaire
création au TNP, avril 2016
Durée: 1h50
TNP de Villerubanne
11 – 28 octobre 2017
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !