Jamais on nâavait entendu avec autant de violence les mots de Tchekhov. Quelques semaines aprĂšs le dĂ©but dâannĂ©e meurtrier qui a endeuillĂ© la France, cet Ivanov rĂ©sonne comme un choc. LâantisĂ©mitisme dĂ©crit par Tchekhov fait froid dans le dos. La piĂšce est portĂ©e par une troupe Ă©blouissante.
Des frissons parcourent la salle de lâOdĂ©on lorsquâIvanov lance Ă sa femme Anna « Sale juive ! » Ă la fin de lâacte III. La merveilleuse troupe de comĂ©diens rĂ©unis par Luc Bondy pour cette version sombre et captivante de la premiĂšre piĂšce de Tchekhov nâa pas Ă©tĂ© Ă©pargnĂ©e par les tragiques attentats du dĂ©but de lâannĂ©e. Câest avec les images de ces tueries dans la tĂȘte quâils ont du rĂ©pĂ©ter cette piĂšce dans laquelle Tchekhov, lui le Dreyfusard, dĂ©peint lâantisĂ©mitisme ambiant de la Russie Ă la fin du 19Ăšme siĂšcle. Micha Lescot le concĂšde, il est toujours trĂšs difficile aujourdâhui pour lui de profĂ©rer cette horreur sur scĂšne.
Le comĂ©dien campe un Ivanov taciturne, renfermĂ©, cafardeux. C’est un ĂȘtre minable qui n’a plus de respect pour sa femme. « Quand le cafard me tourmente je me mets Ă ne plus t’aimer » lui lance-t-il froidement. Tchekhov dĂ©crit une petite sociĂ©tĂ© de province pĂ©trifiĂ©e par l’ennui avec des personnages mĂ©prisants et rongĂ©s par la vodka. La troupe est formidable. Il y Ă©videmment Micha Lescot, impeccable dans la peau de cet Ivanov torturĂ©. Marina Hands Ă©blouissante de sensibilitĂ© dans le rĂŽle dâAnna, la femme rĂ©pudiĂ©e et malade. Christiane Cohendy campe la baronne radine Savichna avec une belle fermetĂ©. Ariel Garcia ValdĂšs fait un retour fracassant sur la scĂšne de lâOdĂ©on qui lui a donnĂ© tant de plaisir du temps de Georges Lavaudant, il incarne le Comte Chabelski, personnage persiffleur ignoble. Marcel Bozonet est le dĂ©licieux Lebedev, le pĂšre de la jeune et belle Sacha (Victoire du Bois) amoureuse dâIvanov.
Le dĂ©cor dĂ©pouillĂ© de Richard Peduzzi utilise des teintes froides avec des verts de gris et des mauves patinĂ©s magnifiques. On est totalement captivĂ© par lâaction et par la mise en scĂšne tout en douceur de Luc Bondy qui atteint son paroxysme dans lâacte III lorsquâIvanov sâavance vers le public pour le prendre Ă partie. La salle se rallume, Micha Lescot lance « Je suis un ĂȘtre mauvais, pitoyable, nul« . Il est impressionnant. Puis Anna apprend de sa bouche quâelle va mourir. Elle crache sur son mari. Des portes en fer se referment sur Marina Hands comme le couperet dâune guillotine. Le dernier acte prĂ©cipite la chute dâIvanov. Câest pourtant le bonheur qui se lit sur le visage de Sacha, sa nouvelle Ă©pouse. Le cortĂšge nuptial arrive titubant, groupĂ© et portĂ© par lâivresse de la vodka. La fĂȘte sâachĂšve par le coup de feu mortel du suicide dâIvanov. Jusquâau bout on retient notre souffle dans cette mise en scĂšne captivante et Ă©tourdissante.
StĂ©phane CAPRON â www.sceneweb.fr
Ivanov
d’Anton Tchekhov mise en scĂšne Luc Bondy
Marcel Bozonnet, Christiane Cohendy, Victoire Du Bois, Ariel Garcia Valdes, Laurent GrĂ©vill, Marina Hands, Coco KoĂ«nig, Yannik Landrein, Roch Leibovici, Micha Lescot, Quentin Laugier, Chantal Neuwirth, Nicolas Peduzzi, Missia Piccoli, Antoine Quintard, Dimitri RadochĂ©vitch, Fred Ulysse, Marie Vialle, et, en alternance, les musiciens Philippe Borecek (accordĂ©on) – Philippe Arestan (violon) et Sven Riondet (accordĂ©on) – Alain Petit (violon)DurĂ©e: 3h40 avec entracte. 1Ăšre partie: 2h10. 2Ăšme partie: 50 minutes
Théùtre de l’OdĂ©on 6e
29 janvier-28 février et 8-29 avril 2015
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