Peut-on encore inventer de la matière théâtrale à partir de nos grands classiques ? Comment mettre au goût du jour Molière ? Pourquoi monter un classique aujourd’hui plus tôt qu’un texte contemporain ? Toutes les réponses à ces questions se trouvent dans cette nouvelle mise en scène du « Médecin malgré lui ». David Friszman et Frédéric d’Elia possèdent le culot et le talent de dépoussiérer un classique. Les deux metteurs en scène (et comédiens) ont délibérément placé l’action de la pièce dans une banlieue du 21ème siècle. Sganarelle est un petit malfrat, qui vit de petits boulots et vend du shit. Il écoute du rap, et va se faire embaucher par Géronte un caïd des beaux quartiers – genre baron de la drogue qui a réussi dans la production musicale, un peu louche aussi – pour exercer des talents de médecins (qu’il n’a pas) afin de sauver sa fille Lucinde qui a perdu sa voix. Géronte a promis de marier Lucinde à un riche banquier, mais ce n’est pas cela dont elle a envie. Elle n’a d’yeux que pour Léandre, un ado un peu branleur qui ressemble à Marilyn Manson.
Les deux créateurs – membre de la compagnie «La clé des planches » n’en sont pas à leur premier coup d’essai dans la volonté de moderniser les classiques. Ils sont l’auteur d’une mini série TV : « Les Rimaquoi ». 30 épisodes de 3 minutes diffusés en France 5 en 2007 (voir le premier épisode en dessous). Un programme court qui déjà intégrait les personnages classiques dans la réalité du monde contemporain. Dans leur série, les deux auteurs respectaient le texte intégral. Dans leur mise en scène du « Médecin », ils poussent le trait jusqu’à moderniser aussi la langue de Molière. « Nous avons aussi demandé à des jeunes de Villeneuve Le Roi de traduire dans leur Langage les répliques de deux des personnages écrites par Molière en patois du 17e siècle ». Il s’agit de Martine (femme de Sganarelle) et Lucas (le valet de Géronte). Le résultat est saisissant. Le parlé de nos quartiers se mêle parfaitement à la langue de Molière, sans lourdeur, et avec beaucoup de naturel.
Avec ce spectacle, c’est une certaine vision de la société française d’aujourd’hui qui s’offre à nous. On y parle du sort des femmes (Martine, femme au foyer est cantonnée aux taches ménagères, elle est aussi maltraitée par Sganarelle, un peu proxénète), de l’économie des banlieues (Sganarelle est un petit malfrat vendeur de drogue), du malaise des adolescents (Lucinde est recluse dans son mal-être, elle décide de ne plus parler à ses parents, et se maquille en gotique). Autant de portraits qui se transposent merveilleusement bien dans la société du 21ème siècle.
La scénographie est intelligente. Le foyer de Sganarelle est dépouillé, désordonné, allumé par un seul vieux néon qui pendouille. Molière avait Lully pour accompagner ses spectacles au 17ème. Au 21ème siècle, ce sont Eminem et Mylène Farmer qui composent la bande son du spectacle. David Friszman et Frédéric d’Elia auraient pu se casser les dents, sur cette relecture de la pièce de Molière. C’est jouissif, drôle, intelligent et magnifiquement porté par toute la troupe d’acteurs. Une pièce qui tranche avec une fin de saison un peu molle, et qui mérite que l’on se déplace au Vingtième Théâtre.
Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
Le Médecin (malgré lui) de Molière
Adaptation et mise en scène : David Friszman et Frédéric d’Elia
Avec Aurélie Bargème, Frédéric d’Elia, David Friszman, Maïa Guéritte, Arnaux Maudeux, Cédric Tuffier
Costumes et chorégraphies : Matteo Porcus
Décors et lumières : Christophe Fouet
Son : J.C. Dumotier
Durée: 1h40
Avignon Off 14
Du 4 au 27 juillet 2014
1’h35
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