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Avec « People Will People You », Steven Cohen tombe le masque

A voir, Les critiques, Rennes, Strasbourg, Théâtre
Steven Cohen crée People will people you
Steven Cohen crée People will people you

Photo Luke Pallett

Dans ce qu’il présente comme son ultime spectacle en salle, l’artiste Steven Cohen brise le mur du silence qui entoure d’ordinaire ses performances et se met à nu avec une simplicité et une sincérité aussi étonnantes que désarmantes.

Sur le plateau de la salle Serreau du Théâtre National de Bretagne, où, grâce à l’indéfectible soutien de son directeur, Arthur Nauzyciel, il est une nouvelle fois programmé dans le cadre du Festival du TNB, Steven Cohen apparaît tel qu’en lui-même, ou plutôt conformément à l’image que l’on se fait de lui et qu’il a façonnée au fil des années et de ses performances. Juché sur une énième paire d’étonnantes chaussures à talons de plusieurs dizaines de centimètres de haut, en forme, cette fois, de candélabres tordus, croit-on déceler, cintré dans une robe dont la fluidité colorée tranche avec la rugosité du corset qu’elle dissimule, visage non pas vulgairement maquillé, mais, comme toujours, divinement ornementé, tant ce mélange de micro-bijoux et d’ailes de papillons est soigneusement agencé, l’artiste sud-africain chemine à l’aide de deux gigantesques cannes, comparables à celles qu’il utilisait dans put your heart under your feet… and walk! (2017), qu’il avait dédié à Elu, l’homme de sa vie décédé en 2016. Le pas sans doute plus hésitant que par le passé, fier, mais avec un langage corporel qui trahit, grimaces à l’appui, une certaine forme de douleur, Steven Cohen vient prendre place sur un petit promontoire, qui surmonte une paire de souliers aux talons, toujours aussi hauts, en forme de guillotine, et… parle. « J’aime les chaussures », esquisse-t-il, l’oeil malicieux, dans un anglais qu’une interprète présente dans le public rend accessible à toutes et tous.

Aux oreilles des spectatrices et spectateurs habitués au travail de l’artiste, ces quelques mots n’auront rien d’anodin, tant le Sud-Africain ne s’est jamais franchement illustré par son goût du verbe, préférant aux mots le silence qui alimente habituellement l’aura, parfois mystérieuse, de ses performances. Loin d’être un épiphénomène, cette prise de parole n’est pourtant que le prélude à une histoire, la sienne, que Steven Cohen ne tarde pas à reprendre depuis le début. « Cet homme, c’est mon grand-père, décrit-il devant la photographie d’un individu qui s’affiche en fond de scène. Son truc à lui, ce n’était pas le drag, mais le whisky, et il était très fort à ça. » En convoquant cette figure, l’artiste qui, de tout temps, s’est défini comme « blanc, juif et queer » revient à la source de ses origines, à la fuite de ses grands-parents juifs en Afrique du Sud pour échapper à la persécution dont ils étaient victimes en Europe, devenant alors, à leur tour, « des racistes et des persécuteurs » des populations noires. Fragment par fragment, comme on feuilletterait les pages d’un album de famille et/ou d’un catalogue d’exposition, Steven Cohen convoque des bribes de souvenirs et de performances, auxquelles sont souvent liés des proches, la plupart du temps disparus. Il y a ce petit garçon qui, alors qu’il n’a que six ans, réalise son premier acte de travestissement immortalisé par une photo intitulée The artist as Miss Margate ; il y a cette « deuxième mère », Nomsa Dhlamini, invitée dans The Cradle of Humankind (2011) ; il y a ce frère qui, à l’âge de 14 ans, avait été envoyé chez le psy après que ses parents ont appris qu’il couchait avec l’un de ses profs, et dont le suicide, bien des années plus tard, lui inspira Golgotha (2009), avec ces fameuses chaussures à talons en forme de (vrais) crânes humains – qui, précise aujourd’hui Steven Cohen, lui ont coûté 2 000 dollars, dont 400 de taxes ; il y a cette mère, Ann Cohen, sur la tombe de laquelle, en plein coeur du cimetière de Johannesburg, il a orchestré Cemetery (2022) ; mais il y a aussi ces performances qui ont fait date, comme Chandelier (2001), où, dans une première version, l’artiste se baladait avec un tutu en lustre au milieu de SDF sud-africains pendant la destruction de leur bidonville, Faggot (1998), qui n’est que l’une de ses nombreuses interventions publiques provocantes, ou encore Coq/cock (2013), où, sur la place du Trocadéro, à Paris, il promenait un coq accroché en laisse à son pénis, ce qui lui avait valu d’être interpellé pour exhibition sexuelle.

Moins qu’à une anthologie narcissique, Steven Cohen paraît s’adonner, de proche en proche, à une forme d’inventaire de son oeuvre et s’interroger par la bande, ou beaucoup plus directement, sur son geste. Dans cette traversée, régulièrement entrecoupée de quelques images extraites de Boudoir (2022) – comme ces animaux empaillés ou cette immolation dans l’un des fours du camp de concentration de Natzweiler-Struthof, où il s’est réellement brûlé –, il remet notamment en cause le qualificatif de « performeur » qui lui est souvent attribué et auquel il préfère celui de « plasticien », s’interroge fugacement sur son besoin d’« impressionner » son monde et s’observe lui-même en train de performer : « Suis-je apparu comme ça car c’est ce que vous attendiez de moi ou car c’est ce que moi j’attendais de moi ? ». Avec une voix fluette et un ton étonnamment simple, presque enfantin dans ses hésitations, l’artiste ne se gargarise pas, pas plus qu’il ne repasse les plats de ses morceaux de bravoure passés comme on exposerait des trophées. Au contraire. Comme rarement auparavant, Steven Cohen s’effeuille, jusqu’à se mettre à nu, confiant que l’art a pour lui constitué « une alternative au suicide » qui a frappé les cinq générations qui l’ont précédé. Petite touche après petite touche, puis couche par couche, il fait alors, dans un geste perclus de tremblements, tomber le masque, y compris littéralement, lorsqu’il partage sur scène l’un de ses rituels qu’il réalise habituellement en loge : à l’aide de morceaux de scotch noir qu’il applique sur son visage, il en retire les éléments ornementaux et rassemble ensuite toutes ces bandes pour faire oeuvre, à part. Revenu ainsi à une forme d’état de nature – ou presque, puisque, tout comme le blanc entoure encore ses yeux, son inamovible noir ébène continue de lui coller aux lèvres –, il encourage le public – lui-même scruté par la caméra – à prendre la parole et porte un regard plus empreint de mélancolie que de fierté sur ce qu’il a accompli. Alors qu’il assure que l’heure de sa dernière performance en salle a sonné, et regrette de laisser aux générations futures un monde encore plus abîmé que celui qu’il a trouvé, flotte dans l’air un parfum de « tout ça pour ça », comme si l’art n’avait intimement, et politiquement, pas rempli toutes ses promesses, comme si, au moment du point (peut-être) final, une légère amertume pouvait naître.

Vincent Bouquet – www.sceneweb.fr

People Will People You
Chorégraphie, jeu, scénographie, costumes Steven Cohen
Lumières Yvan Labasse
Régie vidéo Baptiste Evrard
Confection des robes Clive Rundle
Accessoires Vincent Gadras

Production Cie Steven Cohen
Coproduction Théâtre National de Bretagne, Centre Dramatique National ; Festival Euro-scene Leipzig

Durée : 1h10

Théâtre National de Bretagne, Rennes, dans le cadre du Festival du TNB
du 12 au 15 novembre 2025

TJP, CDN Strasbourg Grand Est
du 12 au 14 mars 2026

14 novembre 2025/par Vincent Bouquet
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