« Au bon pasteur, peines mineures (2) » : comédienne majeure

Photo Pauline Deboffles

Dans une pièce au dispositif léger écrite par Sonia Chiambretto et dirigée par Marcial Di Fonzo Bo, Inès Quaireau démontre l’étendue de son talent en incarnant des jeunes femmes incarcérées d’hier et d’aujourd’hui.

C’est un plateau aux allures de ring de boxe. Un sac de frappe est suspendu à cour, en fond de scène. Un enregistreur à bande est posé à même le sol. Au centre, se trouve une héroïne aux mille identités vêtue d’un débardeur et d’un jogging noir, celle qu’incarnera une jeune actrice nommée Inès Quaireau, tout juste sortie du Conservatoire d’Angers. La petite vingtaine, l’œil vif, le verbe haut, habitée par une sacrée envie d’en découdre, ou plutôt de s’imposer. S’imposer dans le milieu du théâtre avec sa virtuosité et sa niaque, affronter ce texte en phase avec l’actualité signée Sonia Chiambretto, résister à ces adversaires sans visage, à commencer par le patriarcat, l’Église, les abus, l’oubli, l’univers carcéral, ce qui fait beaucoup. Pourtant, elle y arrive : 50 minutes pour un KO.

L’histoire dénichée par l’autrice associée au Quai d’Angers – sur laquelle Margaux Eskenazi s’était aussi penchée l’été dernier lors du Festival du Nouveau Théâtre Populaire – évoque celle de Bétharram, autrement plus médiatisée et politique, commise par des religieux et des religieuses, ainsi que des encadrants de Notre-Dame de Bétharram sur des générations d’élèves. Sauf qu’ici, c’est Angers, et que l’institution supposée venir en aide aux femmes et aux enfants en difficulté s’appelle Au Bon Pasteur – ou la congrégation de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur, c’est selon –, située à seulement quelques centaines de mètres du CDN. Inès Quaireau s’empare des témoignages des jeunes femmes claquemurées dans cet établissement. Ce sont ainsi Annette, Sara, Louise, Gisèle et bien d’autres, coupables d’avoir couché avec des hommes en dehors des liens du mariage, dénoncées par leur père, trahies par leur mère, fautives d’être pauvres, femmes, « tombées » enceintes, et livrées à elles-mêmes. Certaines seront victimes d’abus sexuels par des gynécologues ; d’autres seront séquestrées pendant des dizaines d’années, abandonnées par la justice. Toutes seront violentées, et humiliées.

Pour universaliser son propos, Sonia Chiambretto a choisi d’y mêler des récits d’ados d’aujourd’hui placées en centre éducatif fermé pour filles mineures, où elle a organisé des ateliers d’écriture. La fusion de ces expériences opérée par la comédienne provoque une énergie inouïe, faite de liberté, de vitalité et de sensualité, laquelle déborde du plateau. Il sera ici surtout question de fugues et de tentatives d’évasion, toutes vouées à l’échec, mais toutes salvatrices. Dirigée par Marcial Di Fonzo Bo, Inès Quaireau incarne donc ces femmes en devenir, altérant l’élocution, le rythme et l’intensité de sa parole, faisant preuve de l’impressionnante palette de son jeu, et de sa présence physique incendiaire. Il faut la voir rapper, s’exprimer avec sa voix triturée, l’observer ainsi habiter la scène.

Mais telle est peut-être la limite de l’exercice. Au-delà de sa dimension documentaire, bienvenue et même nécessaire, cette pièce sert avant tout à la démonstration des qualités évidentes de sa comédienne, et moins à nous plonger dans les affres de ces expériences révoltantes – quid de la peur, de la mélancolie, de la résignation, de l’abrutissement, de l’embrigadement ? Il s’agissait-là d’un tremplin, et le défi est relevé. À présent, Inès Quaireau n’a plus qu’à poursuivre sur cette trajectoire hautement prometteuse.

Igor Hansen-Løve — www.sceneweb.fr

Au bon pasteur : peines mineures (2)
Texte Sonia Chiambretto
Mise en scène Marcial Di Fonzo Bo
Avec Inès Quaireau

Production Le Quai CDN Angers
Avec le soutien et l’accompagnement technique des Plateaux Sauvages

Durée : 55 minutes

Le Quai, CDN Angers
les 24 et 25 novembre 2025, puis les 29 et 30 janvier 2026