La comédie musicale américaine culte débarque en France avec son armada de chansons sirupeuses, de raccourcis et clichés, de phrases éculées du genre « Personne ne devrait être oublié » que la mise en scène insipide d’Olivier Solivérès ne parvient pas à sauver. Cher Evan Hansen pâtit d’un manque de subtilité criante dans toutes ses dimensions : la narration, la musique et le jeu. On en sort les yeux et les oreilles usés jusqu’à la moelle.
Soirée sous le signe de la perplexité, voire de l’effarement au Théâtre de la Madeleine. Sens de l’accueil peu développé, prix indécents au bar, ouvreuses rémunérées au pourboire et dame pipi à l’entrée des toilettes… Quelque chose du XXe siècle persiste dans ce beau théâtre qui semble être resté à l’âge de pierre. L’inhospitalité règne et, pour être bien vu, il faut consommer. Après avoir été refoulés à l’entrée par un videur (pardon, un agent de sécurité) zélé qui ne nous avait pas donné son consentement pour pénétrer dans le sacro-saint théâtre, après avoir été refoulés du bar, car qui ne consomme pas ne peut s’y assoir – mais, quand le foyer est fermé, où grignoter son encas avant la représentation ? –, c’est donc assis sur les dernières marches de l’escalier qui mène au sous-sol que nous avons rapidement liquidé nos victuailles, l’œil aux aguets de peur de nous faire déloger, encore une fois, un peu surpris, mais toujours enthousiastes. On ne se refait pas.
Accompagné d’un pré-adolescent féru de musique, on reste confiant dans cette adaptation française de la comédie musicale aux six Tony Awards, qui a conquis Broadway et le West End (dixit le dossier de presse) et évoque le mal-être d’un adolescent qui vit seul avec sa mère, peine à se faire des amis et se retrouve pris dans un engrenage de mensonges presque malgré lui après le suicide d’un camarade de lycée. À cour, en corbeille, l’orchestre live laisse présager du swing et du peps. Le rideau de scène est encore baissé, mais tapissé de dizaines d’écrans de smartphone où défilent en continu des stories sans le son. D’emblée, on en a mal aux yeux, mais, passons, c’est le sujet qui veut ça, l’époque aussi, la génération. On n’a pas encore mal aux oreilles, et on est encore loin de se douter du massacre musical.
Peut-être ne sommes-nous pas le bon public ? Peut-être faut-il avoir vu le film et connaître la BO pour se laisser prendre au jeu ? Peut-être n’avons-nous pas les codes requis pour vibrer à l’unisson avec un public à fond qui applaudit à la fin de chaque chanson et se lève d’un bond à la fin en standing-ovation ? Mais ces deux heures de pop mielleuse à souhait, hurlée à tue-tête par une distribution sans relief, ces deux heures d’une intrigue aux traits grossiers et cette panoplie de personnages stéréotypés, pris dans un décor froid et hostile à angles droits qui démultiplie les cubes (au sol et en fond de scène) nous ont laissé de marbre. Bien sûr, on reconnaît le travail fourni, on apprécie le maillage entre la musique et les dialogues, on rit à certaines scènes – mention spéciale aux deux rôles secondaires, les excellents et hilarants Kevin Barnachea et Fanny Chelim, qui tirent leur épingle du jeu et sauvent la mise. Mais l’histoire est cousue de grosses ficelles et les rôles assez convenus.
Evan Hansen souffre d’anxiété sociale, il n’arrive pas à communiquer avec les autres, sa mère l’accompagne comme elle peut, mais travaille beaucoup pour joindre les deux bouts. C’est une maman battante qui se consacre aux autres à l’hôpital où elle est infirmière et méritante car elle reprend en parallèle des études de droit. Soucieuse de son grand garçon, elle passe son temps à lui dire qu’elle est là pour lui, mais elle n’est pas là et vérifie seulement qu’il a bien pris ses médicaments. On n’en saura pas plus sur le mal obscur dont souffre Evan Hansen et l’interprétation qu’en donne le jeune Antoine Le Provost pousse le curseur jusqu’à en faire un TDAH sévère ou un autiste à la Forrest Gump. Un inadapté attachant aux réactions en dents de scie qui tantôt s’épanche en logorrhées, tantôt se tait et s’enferme dans sa bulle. Antoine Le Provost tient sa ligne de jeu jusqu’au bout, toute en ruptures de ton et revirements d’état, il fait preuve d’une amplitude vocale indéniable. Mais, comme les autres, il n’échappe pas à la caricature et s’époumone sans relâche. En ce sens, Lou Nagy (qui joue la sœur du suicidé, Connor) détient la palme de la vocalise qui défrise, peu aidée par la partition signée Benj Pasek et Justin Paul qui se vautre, au choix, dans le sentimentalisme dégoulinant ou le mélodrame tapageur.
Alors quand, tout à coup, sur la fin de la représentation, le son pète littéralement les plombs, laissant les interprètes à nu, micro inutile, on respire. L’agression sonore cesse et l’on est enfin touché de les voir dans un tel dépouillement, à la fois démunis, car privés de l’amplification qui les soutient d’habitude, et vaillants, car ne laissant rien paraître de ce « grand moment de solitude ». Et le hasard rend le retour du son magique : c’est sur la phrase « Il lâchera pas et il s’accrochera » que le micro fonctionne à nouveau sous les applaudissements soulagés d’un public galvanisé. Et quand un ciel étoilé s’ouvre pour clôturer l’expérience sur le plafond de la salle, même les étoiles qui clignotent font pâle figure et ne parviennent pas à nous émouvoir.
Marie Plantin – www.sceneweb.fr
Cher Evan Hansen
Livret Steven Levenson
Musique Benj Pasek, Justin Paul
Mise en scène et adaptation Olivier Solivérès
Paroles Hoshi, Frédéric Strouck, David Sauvage
Avec Kevin Barnachea, Fanny Chelim, Armonie Coiffard, Antoine Galey, Antoine Le Provost, Michel Lerousseau, Lou Nagy, Sandrine Seubille, et les musiciens Mika Apamian, Lucas Froget-Legendre, Simon Lehuraux, Léa Rulh
Assistanat à la mise en scène Pierre Marazin
Lumières Dimitri Vassiliu
Scénographie Sébastien Mizermont
Direction musicale Léa Rulh
Coaching vocal Camille Favre-Bulle
Designer son Jules Moreau
Orchestration et arrangements additionnels Alex Lacamoire
Arrangements vocaux et arrangements additionnels Justin PaulProduction originale Stacey Mindich
Présenté en accord avec Music Theatre International et l’agence Drama – ParisDurée : 2h
Théâtre de la Madeleine, Paris
à partir du 3 octobre 2025
Laisser un commentaire
Rejoindre la discussion?N’hésitez pas à contribuer !